Avant, j’écrivais pas mal de poésie. Quand je dis avant, je veux dire quand je picolais. Ça me venait tout seul. Pas étonnant que Verlaine ait été un pochetron si ça vient tout seul à trois grammes. Il suffisait que je m’embête un peu et que j’ai deux ou trois litres de bière à portée de main, ou du whisky, ainsi qu’une feuille et un stylo, et hop ! Ou plutôt et glou-glou-gou scritch-scritch-scritch ! Entre deux allers aux chiottes je pissais des vers en m’enfilant des verres. Depuis ça ne me vient plus.
Pourquoi cet attrait pour la poésie ? Comme avec tous les domaines auxquels je touche, je n’en suis pas un grand consommateur moi-même. Tous les domaines dits artistiques, hein. Dans le domaine de l’alcool j’étais un trop grand consommateur, tout comme dans celui de la fumette. C’est bien pour ça que j’ai arrêté définitivement la bouteille et que j’ai bien freiné sur les cônes (un mois sans spliff ! Je sens que j’arrive bientôt à ma limite de sobriété volontaire en ce qui concerne la verte, mais comme j’ai pas de thunes je suis bien forcé d’attendre encore au moins quelques jours avant de me replonger dans un petit paradis-enfer artificiel). Il y a quelques auteurs que j’apprécie beaucoup, pas les plus obscurs d’ailleurs, mais ça me suffit. Je ne passe pas mon temps à aller voir tout ce qui se fait en la matière. Je ressens plutôt l’envie de faire moi-même quelque chose dans le goût de ce que j’ai apprécié.
Qui sont ces poètes ? Dans l’ordre d’apparition : Charles d’Orléans, François Villon, Agrippa d’Aubigné, Paul Verlaine et Victor Hugo. Encore que Verlaine, aujourd’hui je l’apprécie moins. Je sais, c’est pas les plus marrants. C’est pas les plus libres dans leur approche de la poésie non plus. Mais moi, dans la poésie, ce que j’aime ce n’est pas la liberté, c’est la contrainte. J’aime l’aspect puzzle. Faire entrer une narration dans un nombre de syllabes limité et respecter une certaine alternance des rimes masculines et féminines. Deux hémistiches égaux. Je trouve que c’est un bon exercice en ce qui concerne le rythme et la concision.
Bon et ben, en ce moment, rien ne me vient plus. Il y a quelques jours je me suis posé dans un bar vers 17h30 et j’ai pris un café, pour voir si l’ambiance des gens qui se la collent autour de moi réussirait à rallumer la petite flamme. Mais je n’ai pas pu aller plus loin que ça :
Cela fait bien longtemps que je n’ai pas écrit
Quelques alexandrins. J’avais pour habitude
—lorsque je picolais et menais la vie rude,
Triste, du célibat— pour étouffer les cris
Que je voulais pousser à la gueule du monde,
De composer des vers dans lesquels je passais
Mon angoisse et mes nerfs ; l’envie de tout casser ;
Le noble sentiment comme le plus immonde.
Vous voyez, je ne cherche pas à faire dans le lyrisme. Juste à raconter quelque chose, quoi que ce soit, en forçant le tout à rentrer comme je peux dans une forme imposée.
Allez, j’arrête là, il est bientôt 21h. Pour me faire pardonner de n’avoir encore pondu que du texte sans aucune photo pour aérer le tout, je vous laisse avec un petit poème que j’avais composé il y a quelque temps pour un certain magazine tellement underground que personne n’en a jamais entendu parler à part celles et ceux qui le fabriquent.
Jamais Victor Hugo n’écrivit de sonnet
Sur les aphtes buccaux ou les trous aux chaussettes.
C’est parce qu’il essayait de nous impressionner
En nous parlant de Dieux, de Patries, de Causettes.
Et pourtant lui aussi quand il mangeait des noix,
Ou parfois du cantal, ça lui collait un aphte.
Lui aussi il trouait ses socquettes de soie.
Il a bien eu du pot que personne ne cafte.
Enfin, le plus sérieux dans cette affaire-ci,
C’est qu’il ne rapportait pas tout ça de lui-même.
Qui fait des poésies pour parler de vessie
Capricieuse, ou de poils, ou de matins de flemme ?
Ou bien d’oncologie ? De bouffer du gigot ?
Ou des housses de couette ? (Ah, les housses de couette…)
C’est pas Victor Hugo ! C’est pas Victor Hugo !
Quel gros nul, celui-là. C’était une trompette.