Depuis l’ouverture du blog Montpelliérien, et donc maintenant sur Lyonniais, je tente de me tenir comme je le peux à l’écriture inclusive. Ce qui n’est pas facile. L’écriture inclusive, je trouve ça intéressant et je la vois d’un mauvais œil à la fois. Je vais essayer de m’expliquer brièvement, parce que j’ai la flemme d’écrire. J’en ferai peut-être un article complet un jour, étayé de citations et appuyé de sources universitaires solides une autre fois. Là je vais tout balancer en vrac comme ça me vient.
Ma première rencontre avec l’écriture inclusive fut un texte dont j’ai oublié le titre et la provenance et qui disait, d’après ma piètre mémoire, qu’il fallait cesser de mettre les femmes entre parenthèses. On ne devait plus écrire un(e) marchand(e), par exemple, et on y prônait l’utilisation du « · » que désormais tout le monde connait. J’avais été assez agacé par le ton de l’article qui semblait donner des ordres quant à la manière dont tout un chacun (toute une chacune ?) devait écrire, car je considérais que le langage est propre à chaque personne et ne doit en aucun cas se conformer à des règles dictées par une quelconque autorité, que celle-ci soit l’académie française ou un groupe militant. Mon langage m’appartient comme le tien t’appartient à toi. Ton orthographe, tes expressions, tes tournures de phrases comme ton accent, c’est toi. C’est sympa une langue commune, c’est encore mieux une langue riche de mille variations à l’écrit comme à l’oral. Bref, chacun·e sa langue, et se comprenne qui pourra, pour les autres on fera appel à un tiers chargé de traduire. Je trouvais également que tout cela était bien symbolique, et le symbolique moi, ça m’emmerde. C’est de la poudre aux yeux. Le symbolique, c’est beau, c’est tape-à-l’œil, ça n’explique rien, ça pousse à agir selon l’affect et pas la raison, c’est l’outil principal du conformisme bêbête, et le conformisme bêbête est l’outil principal du harcèlement de minorités par des majorités qui se pensent dans leur bon droit parce que ben, euh, c’est la majorité quoi, les autres n’ont qu’à s’écraser. Entre un(e) marchand(e) et un·e marchand·e, la différence me paraissait purement symbolique.
Cela dit, je me suis aperçu avec les années et à force de lecture, que même si on évacuait cette question des parenthèses ou du point médian, les textes qui me tombaient sous le nez s’adressaient implicitement aux hommes en grande majorité. Surtout chez ceux et celles qui aiment écrire comme on parle. Les adresses directes aux lecteurs et aux lectrices étaient en fait des adresses à des lecteurs seulement. Des « hé, les mecs », ou des « quand votre femme » partout, supposés s’adresser au lectorat en général. Par contre, des « hé, les nanas » qui ne s’adressaient, eux, qu’aux femmes spécifiquement. Dérive logique et qu’on ne voit pas forcément venir du neutre masculin. Hors, moi, je ne voulais pas écrire seulement pour les hommes ou seulement pour les femmes, je voulais écrire pour tout le monde, sans qu’on ait la sensation d’une conversation en non-mixité (non-mixité dont d’ailleurs je comprends bien les avantages majeurs lors d’évènements liés à la condition des femmes, mais qui me paraît tout de même avoir ses limites et ses problèmes dans une société qui découvre, à raison, que le genre n’est que construction sociale). Je me suis donc demandé quelle était la meilleure manière de résoudre ce problème. Eh ben je n’ai toujours pas trouvé.
La raison première de mon passage à l’écriture inclusive était donc de me forcer à voir quand moi aussi je m’adressais sans m’en rendre compte à un lectorat masculin par réflexe langagier (culturel ?). (Oui, si je n’aime pas qu’on me dise comment parler, je n’ai aucun mal à modifier moi-même ma propre façon de parler ou d’agir pour coller au mieux à mon éthique. Et là je dois bien avouer que si des militantes féministes n’avaient pas parlé aussi intensément et sur une aussi longue durée de ces problèmes, sans doute que cette réflexion personnelle n’aurait jamais été déclenchée). C’est-à-dire que quand on fait bien attention à s’adresser aussi systématiquement aux femmes qu’aux hommes, on se rend compte d’à quel point ces réflexes sont ancrés en nous, et on se donne plus de moyens de ne plus faire les choses par défaut, de ne plus dire les choses comme on les disait par habitude, mais de contrôler mieux son expression.
J’ai pu écrire des choses comme :
- les mardand·es
- un·e marchand·e
- des chanteurs·teuses et plus loin des chanteuses·teurs
- des chanteurs·chanteuses et plus loin des chanteuses·chanteurs
- des chanteurs et -teuses
J’ai même, sur les conseil de mon ami Koinkoin, tenté d’utiliser le script qui permet d’afficher la notation atomique afin qu’au lieu d’avoir l’impression d’une terminaison m. suivie d’une f. ou d’une f. suivie d’une m., les terminaisons masculine et féminine d’un mot soient superposées, avec toujours dans l’idée (et c’est là que je me vautre également dans le symbolique) d’alterner celle qui se trouverait au dessus et celle qui se trouverait en dessous de l’autre, mais sans succès. Si vous trouvez comment faire, ça m’intéresse toujours d’essayer. Toutes ces solutions, je les essaye et les alterne afin de rester dans l’inventif, le non-conforme, le pas figé. Le plus dur étant de trouver des manières pas trop désagréables à lire.
Car je vois trois problèmes majeurs à l’écriture inclusive. Le premier c’est que ça casse la musicalité d’une phrase. Car le langage est une musique. Une phrase est une mélodie, elle contient ses rythmes, ses notes et ses percussions. Changez un bout de la mélodie, elle n’est plus aussi douce à l’oreille, plus aussi cohérente, il faut en modifier un autre bout pour revenir à un résultat global satisfaisant, mais jamais elle ne sonnera aussi bien, de mon avis, que celle qui vous est venu d’un trait. Pour un blog comme celui-ci, ça n’a pas grande importance, mais pour un texte plus littéraire, ça peut être dommageable. Alors, si vous rajoutez à ça des embranchements en fin de mots plusieurs fois par phrases…
Le deuxième, c’est l’accessibilité à la lecture. La mère d’une amie, directrice de bibliothèque, et anti-écriture inclusive, m’avait fait la remarque que pour quelqu’un qui sait bien lire, ça peut passer, mais que pour les personnes souffrant de troubles d’apprentissage (dyslexie, etc.), ç’allait être un véritable calvaire si ce mode d’écriture était institutionnalisé. Vous l’avez compris, je suis pour l’institutionnalisation de que dalle, mais il est vrai qu’à un moment il faut se poser la question de comment on apprend à lire aux gens. Je ne me suis pas bien penché sur la question, je n’ai donc pas d’avis là dessus.
Enfin le troisième et principal souci d’un point de vue éthique pour moi, c’est que je n’ai pas envie de constamment rappeler qu’il y a des hommes et qu’il y a des femmes. Je veux m’adresser à tout le monde, simplement à des gens, à des personnes, je n’en ai rien à faire qu’il s’agisse d’une lectrice ou d’un lecteur. Car je pense que, si pour en arriver à une réelle égalité de traitement de tous les genres et sexes (je suis un peu paumé quant à ces deux notions, alors je mets les deux) dans une société aussi asymétrique vis-à-vis des comportements attendus des unes et des autres, ont doit évoquer les anciennes catégories pour les analyser et les transformer, mais à terme, pour consolider cette notion d’égalité totale, il faudrait pouvoir s’adresser à une catégorie neutre, l’humanité dans son ensemble. Et pour cela, eh bien oui, il nous manque un véritable neutre en français, qui ne soit pas basé sur le masculin. Ce neutre masculin, c’est principalement ce qui fait que l’adresse directe ne concerne souvent, par glissement, implicitement que des hommes comme je le disais plus haut. Pour le dire plus clairement, à force de dire lecteur, lectrice, madame, monsieur, l’un et l’une, chanteuses·teurs, j’ai l’impression de venir constamment renforcer cette idée qu’il y a deux groupes distincts. Et j’aime pas ça.