J’étais tranquillement installé à la table d’un café sur les bords du Rhône, table stratégiquement choisie pour son exposition plein soleil (j’ai passé douze ans à Montpellier sans être foutu de savoir distinguer le nord du sud, alors ne me demandez pas d’être plus précis après quatre mois à Lyon), en train de boire un —surprise— café, quand je tombai sur cette note de bas de page du Japon pré-moderne (1573 | 1867) de Ninomiya Hiroyuki (二宮 宏之) : « Le shôgun est donc dit taikun et l’empereur, le tennô, est alors désigné par le mot mikado« .
Ça alors ! que je me dis, c’est donc sûrement de là que vient le nom du jeu si célèbre et si déclencheur de fou-rires, dans une tentative de me trouver intelligent en dépit de mon incapacité à retenir une seule information de l’enchaînement de noms de seigneurs et de fiefs, de dates et de revenus convertis en quantité de riz (koku [石]) qu’un tel ouvrage académique de civilisation ne manque pas d’offrir. Et justement, à découvrir cette succession sans répit de prises de pouvoir par divers partis à la suite de ruses et de coups de force, j’avais été amené à penser que le jeu du Mikado représentait symboliquement le fait de mettre de son côté, ou de vaincre, les divers seigneurs en place un à un et en toute discrétion, sans inquiéter les autres (ce qui vous ferait courir le risque qu’on s’aperçoive de vos ambitions et qu’on trouve un moyen de vous écarter plus ou moins brutalement de ce jeu de pouvoir), c’est-à-dire sans les pousser à bouger, jusqu’à enfin obtenir la plus puissante des positions, celle de mikado. Le Mikado étant, dans le jeu, le bâtonnet octroyant le plus de points au joueur qui le possède.
Le terme mikado, qu’on pouvait utiliser pour évoquer le tennô, l’empereur donc, et qui servait originairement à désigner le palais impérial, a été employé selon différentes sources de l’internet (qui reprennent toutes mot à mot les mêmes phrases et sans source donc je m’en méfie) au cours des époques Heian et Edo. À l’époque Heian (794 – 1185) et à l’époque Edo (1603 – 1868), ou de l’époque Heian à l’époque Edo ? Je n’en sais rien et, pour tout vous dire, ça ne fait pas une grande différence concernant l’origine du jeu du Mikado, car (toujours selon l’internet sans source) des descriptions du jeu existeraient déjà dans des textes bouddhiques du Ve siècle avant l’an 0 de notre calendrier grégorien. Le Mikado n’est donc pas un jeu d’origine japonaise symbolisant les luttes de pouvoirs de ce pays. Ma fulgurante déduction s’en trouva donc vaporisée, me laissant nu au milieu des références historiques qui me passaient au dessus de la tête comme autant de vautours affamés de ridicule se payant copieusement ma tronche. Hein ? Non, effectivement, je ne suis pas plus doué pour le lyrisme que pour retenir une simple suite chronologique d’évènements. Ô, à quel point je m’étais planté. Le nom du jeu tel qu’on le connaît aujourd’hui en France lui vient même de la marque d’un fabriquant de jeux, alors qu’on le connaît sous l’appellation pick-up sticks, jackstraws et spillikins dans les régions anglophones, et de jonchets, ou onchets, dans la France du XIXe siècle.
Bon, ben, je préférais mon explication. Et quoi qu’on en dise, que ce soit pour jouer au Mikado ou pour devenir mikado à la place du mikado, faut pas avoir la tremblotte.