Attention : aujourd’hui, c’est long. Très long. Trop long.
Hier, je suis tombé sur le site d’un mec qui sortait tout juste de trois mois de ce qu’il a appelé sa « déconnexion ». Un gars qui lui aussi tient un blog, mais qui, lui, ne s’était jusque là jamais senti gêné semble-t-il de faire la publicité de ses articles sur les réseaux sociaux. Ayant pris conscience, à la suite de sa petite expérience, qu’il se sentait lui-même mieux sans la sollicitation constante des diverses notifications sous lesquelles on a tôt fait de se noyer lorsqu’on est abonné·e à ce type de services, il en vint à se poser la question de la présence soutenue de ses propres contenus sur ces plateformes et de l’effet négatif qu’elle pouvait potentiellement produire sur les autres utilisateurs·trices. N’ajoutait-il pas lui-même au brouhaha abrutissant dont il lui fut si plaisant de s’extraire un moment ?
À cette question, il semble qu’il réponde lui-même plutôt par l’affirmative. Face à cette problématique, il prend donc la décision de ne plus reposter ses anciens articles de multiples fois sur les réseaux les jours où il n’en écrit pas de nouveaux, de ne plus insérer de titres putàkliks en entête de ses liens, de ne plus forcément répondre aux commentaires intégrés sur ces plateformes, bref, de prendre des disposition visant à réduire sa contribution à la pollution informationnelle qui participe à notre besoin grandissant de stimulation constante, et donc à saboter notre capacité à porter longuement notre attention sur un sujet. Capacité nécessaire à une réflexion de qualité. Réflexion nécessaire à… hmm… Réflexion nécessaire afin de pas ne se rendre totalement esclave des injonctions à consommer du marketing, par exemple, ou à comprendre une situation donnée en prenant le temps d’en analyser les détails à tête reposée, plutôt que de balancer notre opinion telle qu’elle vient et, surtout, aussitôt qu’elle surgit de notre machine à réflexes idiots et idées prémâchées, ce qui est souvent dommageable à la société comme à l’individu, mais très profitable aux entreprises de réseaux sociaux, raison pour laquelle leurs systèmes sont finement réglés pour nous y pousser. Le blogueur en question propose également à ses lectrices·teurs de passer par les flux RSS pour consulter ses textes, c’est-à-dire par des marque-pages dynamiques dans son navigateur, ce qui permet d’être au courant des nouveautés sur des sites qu’on a soi-même soigneusement choisis, quand (et seulement quand) on décide de les consulter, sans être sollicité en cours de route par une multitude d’informations non désirées et de réclames.
Dans ses articles, il était également question d’ego. Être lu, ne pas l’être, voire, plus difficile à encaisser, ne plus l’être. Je me garderai bien de manipuler le terme d’ego, ayant très peu de connaissances en psychologie, mais comme je ne suis pas à une contradiction près, je vais tout de même me risquer à un peu de psychologie de comptoir. Je pense qu’on peut ici parler de :
- désir d’être vu·e. Donc d’exister, car on n’existe pas seul dans le néant, ou alors on ne s’en rend pas compte. Comme disait Cavanna : « Pour savoir qu’on est Dieu, il faut être deux : Un qui est Dieu, et l’autre qui Lui dit : « Mon Dieu ». » Je pense que ça marche pour tout être capable de se penser.
- désir d’être reconnu·e. Autrement dit de savoir qu’un·e autre que soi accorde de la valeur à notre travail. Avoir donc la sensation qu’on est accepté dans une sorte de groupe. Le sentiment, et semble-t-il le désir, d’appartenance étant fortement développé chez tout animal dit social.
- besoin de rétroaction (feedback, chez les anglophones) ; lorsqu’on agit sur notre environnement, on attend une action de notre environnement en retour qui nous permet de nous assurer qu’on a bien agit sur lui. En l’absence d’un quelconque retour, on se désintéresse peu à peu, puis on cesse d’agir. Ce besoin de rétroaction est une préoccupation centrale dans la conception des réseaux sociaux ou des jeux vidéo. Ils permettent de garder l’utilisateur·trice engagé, comme on dit. Dans le cas des blogs : vues, likes, commentaires.
- envie du toujours plus ou du pas moins. Car il me semble qu’on a toujours tendance à chercher à renforcer la sensation de plaisir qu’une action ou situation nous procure, ou du moins à vouloir la retrouver d’intensité égale à sa précédente manifestation.
Évidemment, tout cela a fortement fait écho en moi. Si vous avez lu les billets #039 et #040 vous savez que je me pose moi-même des questions assez proches thématiquement parlant.
La publicité me faisant depuis très longtemps l’effet d’un gros mollard bien vert craché en pleine gueule de la raison, d’une tentative de kidnapping de notre aspiration au bonheur en vue d’une rançon bien juteuse mais jamais satisfaite de la part de diverses industries canailles assoiffées de pognon, je me surveille énormément pour être bien sûr de ne pas reproduire ces techniques manipulatoires et intrusives afin de promouvoir mes gribouillis, écrivouillures et musicouilles. Que fais-je donc, vous demandez-vous, pour indiquer que je viens de fabriquer ceci ou cela ? Durant quelques années, j’ai posté des liens sur gazouilleur accompagnés d’une petite phrase pleine d’auto-dénigrement. Comme pour dire c’est là, mais franchement, moi je serais vous, je n’irai que si j’ai vraiment du temps à perdre. Cela dit c’était déjà trop pour ma conscience fragile. J’ai plusieurs fois arrêté et repris cette manière de faire. Aujourd’hui ? Eh bien… je ne fais rien. Je me contente de poser ça quelque part sur l’internet et d’attendre bien sagement que quelqu’un y tombe dessus. Tout autre démarche me paraît trop radicalement prosélyte, me donne l’impression de me transformer moi-même en marque, en produit de consommation, et en publicitaire. Dans ces conditions, vous vous en doutez bien, personne ne voit ce que je trafficote. Alors je continue à rêver du hasard qui fait que qui a des angoisses et des joies qui convergent finissent pas se trouver, du bouche à oreille, des abonnements au flux RSS de la part de ceux et celles qui ont accroché, et des petits réseaux non-centralisés entre fabricoteurs·euses de machins qui apprécient chacun·e le travail de l’autre.
Lorsque je tenais mon blog BD, entre 2007 et 2009, mes amis·es venaient d’eux·elles-mêmes consulter ce que je faisais tous les jours et commenter, et, entre blogueuses et blogueurs, on se suivait les uns·es les autres. Aujourd’hui, tout ça est bien fini. Trombinoscope a sans doute sa part de responsabilité dans l’affaire, et la nature humaine, main dans la main avec la culture marchande, a dû faire le reste. Deux réflexions, rapport à ça et aux différents désirs cités plus haut.
La première, c’est que j’ai personnellement toujours été assez attentif à ce que faisaient mes amis et amies, en matière de créativité. Je trouve fascinant que des personnes proches de moi fassent de la musique, dessinent, prennent des photos, filment, montent, jouent ou écrivent. J’aime les voir développer leurs techniques, évoluer dans leurs réflexions, leurs styles, leurs obsessions, leurs goûts, leur petite musique intérieure, leur pagaille et leurs tentatives de canaliser ça. Ça me file la pêche, ça me donne moi-même envie de fabriquer, ça me fait rêver à des projets communs dingues et pleins de fantaisie et d’inventivité, et de rires, et de discussions, et de rapports humains chaleureux et… et… je sais pas. Ça crée en moi un fabuleux bouillonnement d’envies et d’espoirs. J’aime encourager, porter de l’attention à ça. Pour moi, c’est là qu’est la vie, et c’était également comme ça que j’imaginais pouvoir organiquement montrer et voir sans imposer.
Hélas, j’ai tôt dû me rendre à l’évidence : cet engouement pour l’art brut, ou en amateur disons, et de proximité, n’est pas franchement partagé par le plus grand nombre. J’ai la triste impression, sans doute faussée par ma frustration, que si ça ne ressemble pas à du déjà connu, si ça n’est pas bien empaqueté par des pros du marketing, si ça n’est pas déjà valorisé par un assez grand nombre d’individus, si ça n’est pas vu dans les endroits où il faut être vu, la bonne vitrine du magasin qu’il faut, personne ne semble avoir la curiosité de venir voir de plus près ou de s’attarder sur vos créations de non-professionnel·le, même pas les amis·es proches. Dans mon entourage, par exemple, je connais une personne qui partage vraiment cet amour de l’artisanal de proximité, mon ami Feldo. C’est d’ailleurs, depuis la reprise du blog à Lyon, la seule personne présente dans les commentaires, à tel point que je pense parfois arrêter le blog et simplement lui écrire un e-mail par jour. J’exagère, mais c’est la personne qui a nourri avec le plus de constance cette envie, au fond un peu déçue, de continuer à fabriquer des machins, en portant de l’attention aux choses que fabriquaient les gens qui l’entourent, dont moi. Le fait qu’il n’y ait, parmi tous les gens que je côtoie, que lui dans lequel je reconnaisse vraiment cette façon d’entretenir la petite flamme, la petite envie de faire chez l’autre en y accordant tout simplement un peu d’attention, me fait dire que c’est une chose assez rare.
Mais c’est ainsi, il faut bien accepter cet état de fait, sans quoi on se met à en vouloir à son entourage, et ce n’est franchement pas cool pour eux. Je le dis d’autant plus honnêtement et honteusement que ça m’est arrivé par périodes, et que j’en ai encore parfois de petits relents de rancune injustifiés (sinon j’en parlerai sans doute pas ici). C’est que vraiment j’en ai rêvé très fort, de cette émulation créative et collective entre amis et -mies, et je mettrai certainement un petit moment à me défaire totalement de cette chimère. Voilà peut-être également une des raisons pour lesquelles les créationneuses et -neurs se tournent majoritairement vers les réseaux sociaux pour promouvoir leurs œuvres, ne trouvant pas public dans leur entourage proche. Après tout, quand on ne naît pas dans un milieu artistique, ça n’a rien d’étonnant.
La deuxième chose, c’est que ce réseau de blogueurs et de blogueuses qui se suivaient les uns·es les autres avait déjà certains défauts des réseaux actuels, mais il avait l’avantage de n’être pas centralisé. Les défauts ? D’un, la fauxculssité. Je commente chez toi pour attirer des gens chez moi, même si ce que tu fais, au pire me déplaît, au mieux m’ennuie profondément. De la publicité déguisée. Aujourd’hui, ça arrive sans doute encore mais les blogs non-présents sur les grosses plateformes de réseaux sociaux ne marchant pas des masses, les assoiffés·es de vues en déficit d’intégrité se sont déportés·es sur trombinoscope, gazouilleur et consorts. Beaucoup d’interactions remarquées sur gazouilleur me font penser à ça, et même les bots s’y sont mis aussi pour vous attirer vers des nids à malwares, sur nuagedeson notamment. Heureusement, tout le monde n’était pas malhonnête, et chacun·e avait d’ailleurs, sur son propre site, sa colonne de liens vers les blogs de celles et de ceux qu’il ou qu’elle appréciait vraiment. Bien que cette colonne ne soit pas expurgée de toute intrigue politique. De deux, on n’arrivait pas forcément à attirer grand monde d’autre que des blogueuses et des blogueurs, excepté pour ceux et celles qui étaient déjà connus·es avant leur blog, et des quelques génies qui ne manquèrent pas de se professionnaliser très vite. Mais, les blogueurs et blogueuses, c’était un vrai public ! Et un public de fabriqueurs et -queuses aussi, donc, de gens avec qui on pouvait, au moins théoriquement, partager beaucoup. On était donc 1) vu·e, et 2) reconnu·e par des pairs.
Pour ce qui est de l’avantage majeur de ne pas avoir un réseau centralisé sur une seule plateforme hyper-populaire, c’est que ça n’invisibilisait pas tous ceux et toutes celles qui ne se trouvaient pas sur cette plateforme. On avait alors encore l’habitude de voguer de lien en lien, et ainsi on se donnait plus de chances de tomber sur n’importe qui et n’importe quoi, du point de vue du public. Du point de vue des auteurs et autrices, on avait quand même un poil plus de chance de faire découvrir ses travaux. Aujourd’hui, que ce soit pour faire voir vos œuvres ou pour organiser des évènements, si vous n’êtes pas sur trombinoscope ou toitélé, vous n’êtes nulle part. Et ça, ça me chagrine un peu.
Bon. Je commence à fatiguer un peu d’écrire là, je vais bâcler. Je voulais reprendre point par point les désirs et besoins que j’avais catégorisés plus haut et les mettre en rapport avec la façon de les retrouver satisfaits sur les réseaux sociaux, et comment aujourd’hui un blog, sans passer par un réseau social, ne peut, lui, que très mal les satisfaire. Mais je sature. Alors, gloubi-boulga :
Quand tout roule, on ne se pose pas de questions. Je veux dire que quand nos désirs d’être vu·e, reconnu·e, nos besoins de rétroaction et de toujours-plus-ou-pas-moins sont satisfaits, on n’a pas besoin de remettre en question l’intérêt ou l’objectif de nos actions. On nage dans le sens du courant, qu’importe où il nous mène, on y est bien. Par contre, quand vous passez des heures de votre vie à fabriquer des choses sans jamais avoir un retour, ou trop peu à votre goût, alors viennent frapper à votre porte tout un tas de points d’interrogation. Pourquoi je me casse le cul à faire ça ? Pour moi ? Oui mais, pour moi et c’est tout ? Pourquoi je le publie quelque part alors ? Pourquoi est-ce que ça me déçoit toujours un peu quand personne n’est venu y jeter un coup d’œil ? Pourquoi si peu ? Pourquoi aucune réaction malgré toutes ces vues ? C’est si nul que ça ? C’est moi qui comprends rien, ou c’est les autres qui ne peuvent ou ne veulent pas comprendre ? Qu’est-ce que je pourrais faire pour changer ça ? Est-ce que ce serait bien moral de faire de la pub alors que moi ça m’agresse ? Est-ce que ça vaudrait bien le coup de dépenser de l’énergie à ça ? Est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux faire autre chose ? Et pourquoi je veux que ça soit vu ? Pourquoi j’aimerais être reconnu comme quelqu’un qui fait des trucs cools ? Pourquoi si c’est lui qui me reconnait je m’en fous et si c’est elle ça me plait ? Par qui je veux être reconnu ? Qu’est-ce que ça peut me foutre au fond qu’on me reconnaisse alors que je prends des pseudos exprès pour qu’on sache pas qui je suis ? Dix vues et ça me suffit pas ? Et un like, c’est mieux ? Des commentaires, ça ce serait chouette ! Mais si c’est des insultes ? Je cherche vraiment tant l’interaction que ça alors que dans la vie hors-écran je la fuis plutôt ?
Toussa toussa…
Bon je vous rassure : tout ça ne m’atteint pas autant que ce que vous pourriez le penser. Après plus de deux cent billets quotidiens si l’on comptabilise Montpelliérien et Lyonniais ensemble, et une cinquantaine de textes sur quelques autres blogs anonymes, à m’adresser à un lectorat quasi-inexistant, après douze années et quelque deux cent morceaux de musique postés anonymement et (presque) sans publicité dans les recoins les plus sombres du net, plus les dessins, textes et jeux jamais publiés nulle part, si je n’y trouvais pas une quelconque satisfaction, j’aurais déjà abandonné tout ça définitivement depuis longtemps. Donc, je m’y retrouve d’une manière que j’ai moi-même du mal à analyser.
En tout cas, le fait de ne pas passer par les réseaux les plus empruntés, et, du coup, l’absence quasi-totale de retours, ou de succès, appelez ça comme vous voulez, amène à se poser de bonnes questions pour qui a envie de se connaître un peu mieux. Je pense que, de toute façon, dès qu’on est dans le créatif, l’artistique ou le divertissement (pareil, appelez ça comme vous voulez), on est un jour ou l’autre amené·e à douter de l’intérêt de ce qu’on fait et à se questionner sur les bienfaits réels des compromis qu’on a accepté de faire pour atteindre son but. Et ce but ? Lequel est-il d’abord ? Hein ? Hmm… Méditons.
Attends au moins que je change de mail.
😀
Maintenant, qui va aller sur le blog du mec que tu as mentionné pour lui dire de lire cet article? J’ai envie de voir un blog- battle.
Pas moi, il va penser que je viens me faire de la pub…