C’est fou ce qu’il y a comme migrants, hein ? Ils sont partout. Sur terre, en mer, dans les champs, dans les rues, à la télé, dans les journaux, et jusque dans ma famille. Ben oui.
Ce matin, mon amie et moi avons raccompagné mes parents à la gare, et en buvant notre café à la brasserie du coin, j’ai pu apprendre, grâce aux questions posées par mon amie, un peu l’histoire de ma famille. Ouais, comme je vous disais quelques articles auparavant, la communication entre mes parents et moi n’étant pas forcément au beau fixe, je n’ose pas bien leur demander d’étancher ma curiosité vis-à-vis des ancêtres quand il est déjà difficile de se demander « Comment ça va ? ». Mais, puisque mon amie posait quelques questions, j’en ai profité pour demander d’éclaircir certains détails.
Que ce soit du côté paternel comme maternel, mes grands-parents ont fui la misère espagnole et la violence d’une dictature militaire. Quelque part dans les années 30-40.
Du côté de ma mère. L’un de mes arrières grands-pères, passé la frontière, a dû séjourner, bien forcé, quelques mois (années ?) dans le camp de concentration de Rivesaltes, quelque part entre 39 et 45. Quand il en est finalement sorti, il a fait venir son fils (mon grand-père) et sa petite-fille (ma tante) la plus grande pour travailler aux champs du côté de Gignac. Puis il a fait venir sa belle-fille (ma grand-mère) et sa deuxième petite fille (mon autre tante). Enfin, tout ce beau monde s’est établi dans un autre village où ma mère est née. Première de sa famille, donc, ma mère, à naître en France. C’était au début des années 1960. Mon arrière grand-mère, elle, ne les a rejoint que bien plus tard. De ce même côté, mon autre arrière grand-père faisait sans doute encore gentiment ses années de tôle dans les prisons de Franco, communiste qu’il était. Celui-là, je ne sais pas ce qu’il est devenu, sa femme non plus. Ah oui, je dis l’Espagne, pour pas rentrer dans les détails, mais tout ce côté maternel est plus précisément Catalan. Autant dire qu’à l’époque ils fuyaient autant la misère qu’un régime qui les menaçait de les foutre au trou pour avoir osé parler leur langue natale. Toujours est-il que quand ma mère était petite, on disait des Espagnols dans les journaux qu’ils étaient sales, qu’ils mangeaient par terre. Ils finissaient par constituer parfois plus de la moitié de la population des villages où ils s’installaient. Une véritable « invasion » hein ? De ce côté-là, à force de travail (car il y en avait en ce temps) et après des décennies, un terrain fut acheté, des vignes aussi, et une petite maison fut construite. Aujourd’hui, ma grand-mère, toujours vivante, compte aux noëls huit arrières-petits-enfants dont l’ADN, s’il parlait, raconterait autant l’Espagne que la France profonde et l’Algérie.
Du côté de mon père. L’histoire est à peu près la même. Mon grand-père, s’il est né du côté français des Pyrénées n’y est né que de justesse car sa famille Espagnole tenait une épicerie à la frontière. Ma grand-mère, née en Espagne, au centre-centre, elle, fit la rencontre de mon grand-père dans le coin de Carcassonne après. Les deux avaient fini par fuir la guerre civile. Pourquoi Carcassonne ? Car là-bas il y avait des vignes, des champs… Bref, du travail. Mais il ne s’y rendirent pas seuls. Oh que non ! Les sœurs, les frères, les tantes, les oncles et les cousins, les cousines, furent embarqués eux aussi. À l’époque pourtant, pas de regroupement familial tel qu’on l’entend aujourd’hui, mais comprenez, déjà qu’on avait quitté le pays, on tâchait au moins de rester en famille quand on le pouvait. Surtout, on allait tous là où on avait entendu dire qu’il y avait de quoi bosser. « – Eh, tu sais pas où y a du taf ? – Si, dans ce coin là-bas, nous on part la semaine prochaine, vous nous suivez ? – Oh, tu veux pas attendre encore un petit mois ? Il faudrait que je fasse venir la famille, ils sont en train de crever la gueule ouverte au pays, ça se fait pas de s’en sortir tout seul. – Okay. Mais qu’ils se grouillent, à ce qu’il paraît y a plein de migrants qui sont en train de prendre tout le travail, ils le disent dans les journaux. – T’es con ou quoi ? C’est nous les migrants. – Ah merde, ouais. Bon ben qu’ils prennent leur temps alors. De toute façon il paraît que les migrants sont mal accueillis. » C’était un extrait de Ma famille de migrants envahisseurs, épisode 2. Mon père est né un an avant la fin de la seconde guerre mondiale à Carcassonne, d’un père Français par hasard, donc, et d’une mère Espagnole. Quand il était petit, on l’appelait l’Espagnol ou le barraquet, surnom occitan qu’on donnait aux immigrés Espagnols et qui signifierait « haricot ». Ses petits camarades dont les parents étaient Italiens, eux, on les appelait les spaghettis.
C’est tout ce que je sais, tout ce que j’ai appris. Vous voyez, c’est bien maigre, mais ça me suffit pour me/vous rappeler que la migration des peuples n’est qu’un processus continu, sans origine, sans fin. Que les étrangers d’hier engendreront les autochtones de demain, jusqu’à une prochaine guerre, alors ces autochtones-là iront faire les étrangers chez d’autres. Mais aussi que, étant moi-même de la deuxième génération et demie née en France, je dois me rappeler que si je vis aujourd’hui dans cette partie du monde ma foi pas pire que d’autres, c’est un peu grâce à Franco. Alors merci Franco. Hein ? Oui, okay, c’est bizarre.
Et sinon, je vous ai parlé du Papy de Fourvière ? Que j’ai rencontré hier ? Lui est arrivé d’Espagne à Lyon en 1951 et… Hein ? D’accord, vous en avez marre, je comprends. On va garder ça pour demain.
« Les chiffres sont accablants : il y a de plus en plus d’étrangers dans le monde. » (Luis Rego, étranger)
Ah ! En parlant de cet étranger-là précisément, je suis tombé sur cette vidéo y a quelques jours, j’ai oublié de te l’envoyer : https://vimeo.com/66853149