Je vous l’ai dit, il y a trois jours j’ai acheté des livres en bonne quantité. Dans le tas, Trésor de la poésie populaire française de Claude Roy (Guilde du Livre, Lausanne, 1954). Je ne vous mens pas, dans les cinq premières chansons que j’y ai piochées au hasard, il y avait ces trois-là. À vous d’en trouver les points communs entre elles, ainsi qu’entre celles-ci et Colin prend sa hotte.
La fille des sables
Dans la ville des sables,
Y a-t-un’ fille à marier.
Sur le bord de la mer
Elle est là qui écoute
Le marinier chanter.
— Apprends-moi z’à chanter !
— Entrez, bell’ dans ma barque
Et je vous l’apprendrai.
Quand la bell’ fut entrée,
Au large il a poussé.
De frayeur, de tristesse,
La bell’ se mit à pleurer.
— Oh ! qu’avez-vous, la belle,
Qu’avez-vous à pleurer ?
— J’entends, j’entends mon père,
M’appeler pour souper.
— Ne pleurez pas, la belle,
Avec moi vous soup’rez.
— J’entends, j’entends ma mère
M’appeler pour coucher.
— Ne pleurez pas, la belle,
Avec moi vous couch’rez.
L’ont bien fait cent lieu’s d’aive,
Sans rire et sans parler.
Au bout des cents lieu’s d’aive,
La bell’ s’mit à parler.
— Ah! c’est-i’ pas Versailles
Ou Paris que je voës ?
— C’est le château d’ mon père,
Ma bell’, que vous voyez.
Nous y couch’rons ensemble
Le soir après souper.
Quand ell’ fut dans la chambre,
Son lacet a noué.
—Mon épé’ sur la table,
Bell’, pourra le couper.
La belle a pris l’épée,
Dans l’ cœur se l’est plongée.
Maudite soit l’épée,
Celui qui l’a forgée !
Sans la maudite épée
Je serais marié
Avec la plus bell’ fille
Qu’y’ i’ ait à l’évêché.
Elle était aussi droite
Que le jonc dans le pré.
L’était aussi vermeille
Que la ros’ du rosier.
Si j’avais une amie
Si j’avais une amie,
Qu’elle m’aime bien !
De baisers et de fleurs
Je la couvrirai !
Si j’avais une amie,
Qu’elle m’aime bien !
La nuit et le jour
Avec elle dormirais !
Si j’avais une amie,
Qui ne m’aime pas !
La jetterais dans l’eau
Et la ferais noyer !
Si j’avais une amie,
Qui ne m’aime pas !
La couvrirais de paille
Et la ferais brûler !
La belle qui fait la morte
Dessous le rosier blanc
La belle s’y promène
Blanche comme la neige
Belle comme le jour ;
Ce sont trois capitaines,
Tous trois lui font l’amour.
Le plus jeune des trois
La prit par sa main blanche.
— Montez-y, montez, la belle,
Dessus mon cheval gris,
A Paris je vous mène
Dedans un grand logis.
Arrivés à Paris,
L’hôtesse lui demande :
— Et’ vous ici par force
Ou bien par vos plaisirs ?
— Ce sont trois capitaines
Qui m’ont conduite ici.
Vint l’heure du souper,
La belle mangeait guère.
— Soupez, soupez, la belle,
Prenez votre plaisir,
Avec trois capitaines
Vous passerez la nuit.
Au milieu du souper
La belle tomba morte.
— Sonnez, sonnez, trompettes,
Tambours, battez aux champs !
Puisque ma mie est morte
J’en ai le cœur dolent.
— Où l’enterrerons-nous,
Cette aimable princesse ?
Au jardin de son père,
Dessous la fleur de lis ;
Nous prierons Dieu pour elle,
Qu’elle aille en paradis.
Tout au bout de trois jours
Son père s’y promène.
— Venez, venez, mon père,
Venez me déterrer.
Trois jours j’ai fait la morte
Pour mon honneur garder.
Franchement sympathique n’est-ce pas ? Toutes ces chansons, populaires, sont chantées par les campagnes françaises depuis des siècles pour certaines. Sans doute bientôt oubliées totalement, sauf par une poignée d’amateurs de ces restes folkloriques et de professionnels de la musique ancienne. Je trouvais donc intéressant qu’elles soient présentes sur internet, quelque part, afin qu’on se souvienne que les emmerdements et violences que subissent les femmes de la part des hommes sont une constante à travers l’histoire.
Si vous pensez qu’on exagère quand on déplore la manière donc certains mecs se comportent avec les femmes, leur forcent la main comme de gros lourdauds pour les plus naïfs, comme de vrais gros cons dangereux pour les plus mauvais, revoyez votre copie en prenant en compte l’accumulation des preuves au cours des siècles. Ces chansons se sont longtemps transmises par le chant, car elles font écho au vécu de beaucoup de femmes.
La preuve qu’elles se sont transmises par le chant et non par les érudits, c’est qu’on en trouve des dizaines de variations dans différentes régions. Je vous invite à lire cet article de Camille Frouin sur lequel je suis tombé en cherchant l’origine de La belle qui fait la morte (spoiler : j’ai pas trouvé). Il y a dans l’article plusieurs variations de cette dernière, ainsi qu’une intéressante réflexion sur le sujet dont nous venons de parler. Tout cela est en plus bien sourcé car, contrairement à moi, Camille Frouin ne bâcle pas ses articles. Attention, je ne critique pas, je constate. Il faut bien des gens rigoureux dans ce monde pour ceux qui aiment ça. Et puis tout le monde n’a pas ma capacité à faire mal les choses et c’est bien normal, j’ai beaucoup travaillé pour en arriver où j’en suis.
Bon. Ne nous quittons pas sur ces tristes chansonnettes, en voilà donc une dernière, issue du même ouvrage de Claude Roy, qui va vous remonter le moral :
Renaud le tueur de femmes
Renaud a de si grand appas
Qu’il a charmé la fille au roi
L’a bien emmenée à sept lieu’s,
Sans qu’il lui dit un mot ou deux.
Quand sont venus à mi-chemin :
— Mon Dieu ! Renaud, que j’ai grand faim !
— Mangez, la belle, votre main ;
Car plus ne mangerez de pain.
Quand sont venus au bord du bois :
— Mon Dieu, Renaud, que j’ai grand soif !
— Buvez, la belle, votre sang ;
Car plus ne boirez de vin blanc.
Il y a là-bas un vivier
Où treize dames sont noyées.
Treize dames y sont noyées,
La quatorzième vous serez.
Quand sont venus près du vivier,
Lui dit de se déshabiller.
— N’est pas affaire aux chevaliers
De voir dame déshabiller.
— Mets ton épée dessous tes piés
Et ton manteau devant ton nez.
Mit son épée dessous ses piés
Et son manteau devant son nez.
La belle l’a pris, l’a embrassé ;
Dans le vivier elle l’a jeté :
— Venez anguilles, venez poissons !
Manger la chair de ce larron !
Renaud voulut se rattraper
A une branche de laurier.
La belle tire son épée,
Coupe la branche de laurier.
— Belle, prêtez-moi votre main,
Je vous épouserai demain.
— Va-t’en Renaud, va-t’en au fond
Epouser les dames qui y sont !
— Belle, qui vous ramènera,
Si me laissez dans ce lieu-là ?
— Ce sera ton cheval grison,
Qui suit fort bien le postillon.
— Belle que diront vos parents,
Quand vous verront sans votre amant ?
— Leur dirai que j’ai fait de toi,
Ce que voulois faire de moi !