Le genre humain excelle dans deux domaines : souffrir et mourir. Parfois, il n’est pas mauvais pour rire non plus. S’il est dur de rire lorsqu’on souffre, et qu’on n’a que rarement vu des gens mourir de rire ou rire en mourant, on peut en tout cas très bien mourir en souffrant et souffrir en mourant, ce qui est rigoureusement la même chose. C’est pourquoi ces deux-là vont de pair et pas les autres. On peut également se donner la mort à cause d’un excès de souffrance, ou bien souffrir en excès de la mort d’un congénère ou de la disparition d’un être ou d’une chose. En revanche, on se suicide rarement de ne plus en pouvoir de rire à longueur de journée, bien qu’on puisse en ressentir de lancinantes douleurs aux joues.
Pourquoi je vous dis tout ça ? Parce qu’alors que j’étais parti marcher au soleil de bon matin pour voir un peu si mes idées noires allaient se faire pulvériser par la pluie de photons, un homme, juste à côté de l’Opéra Comédie, arrivé pile à mon niveau, hurle : « VIVE LA FRANCE !!! » et, s’accompagnant du geste des conducteurs de locomotives relâchant la vapeur et pliant les genoux, pète deux fois : prout, prout ! Je n’ai pas tout de suite compris ce à quoi je venais d’assister. C’est monté au cerveau quelques mètres plus loin. J’étais trop triste pour rire franchement, mais au fond de moi quelque chose a remué, et pendant quelques secondes j’ai dû sourire un peu. C’est toujours ça de pris.
Oui, je sais, je devrais pas écrire ce genre de choses. Je veux dire ma tristesse, pas le gars qui fait vive la France prout prout. Des trucs comme ça, justement, faudrait que j’en écrive plus. Mais là j’ai beau fouiller dans ma mémoire, le seul truc y ressemblant c’est un mec qui, en passant à vélo à côté de moi, a gueulé : « que la mort emporte toute l’humanité, qu’est-ce que j’en ai à foutre moi ? », alors vous voyez… Je peux même vous donner la date, j’avais noté ça sur mon téléphone, c’était le 14 août 2016. C’était juste à côté de l’arrêt Pompignane de la ligne 4 du tramway. Il faisait super chaud, je me souviens. Dire que déjà ce jour-là j’étais sorti marcher en espérant que ça irait mieux au soleil. C’est désespérant.
Aujourd’hui, j’ai pas noté de choses à faire. Ni concerts, ni expo, ni pièces de théâtre, ni pique-nique, ni rien. Aujourd’hui, j’attends qu’on soit demain. On verra bien, les choses y paraîtront peut-être un peu moins moches. Passez donc une bonne journée pour moi si vous le pouvez, sinon dites-vous qu’on est au moins deux à se triturer l’humeur si ça peut vous soulager. Allez, salut.