Il y a du monde dans les rues. Il y a des drapeaux. Je n’aime ni trop le monde dans les rues, ni trop les drapeaux. Quel prétexte ? Non, ce n’est pas une victoire de l’union des partis nationalistes, c’est qu’il y a football. Je n’ai jamais suivi le football. C’est bien ma veine, tiens, moi qui comptais me balader un peu ce soir. Ça va être viande saoule et chauvinisme à deux balles. Pardon, à une seule balle. Vous voyez, je connais quand même les règles élémentaires de ce sport.
De quelles rues je parle ? De celles de Lyon. C’est mon dernier soir ici, avant de revenir m’y installer définitivement au mois d’août, et mon amie est déjà repartie à Montpellier. Je la rejoindrai demain seulement. Autant dire que, ce soir, je suis bloqué à l’intérieur, seul, avec une connexion wifi digne des modems 56k de la grande époque. Seul, vraiment ? Non. Il y a trois araignées au plafond. Brrr… Je les tolère. Sans elles, je pense que je n’aurais plus de sang dans les veines à l’heure qu’il est tant le plafond se recouvre vite de petits insectes volant si l’on laisse par mégarde la fenêtre ouverte après 20h. Quelle situation, hein ? Ayant peur des araignées, j’aurais tendance à les tuer malgré le fait que je me sois promis de ne pas faire de mal aux animaux, puisque, comme vous le savez peut-être, je n’achète même pas de produits d’origine animale afin de ne pas cautionner les personnes et les industries qui maltraitent les êtres vivants. Bon enfin, j’ai mangé une poutine il y a deux jours, je n’en avais encore jamais goûtée, et une pizza à midi. Il m’arrive de faiblir. Jusqu’à il y a trois ans, je mangeais encore sans appliquer mes considérations éthiques envers l’ensemble des êtres vivants. Comme je ne fais ça que par principe, il m’est difficile de ne pas craquer de temps en temps pour un plat dont le goût m’affolait à l’époque et que je vois passer devant moi. Surtout dans une période de transition comme celle-ci où je n’ai plus beaucoup de repères forts (cessation de toutes mes activités d’un coup pour cause de déménagement dans une ville complètement inconnue dans laquelle je ne connais personne, et en plus, en ce moment pour courte une période de visite seulement). C’est comme si j’avais passé cinq jours de vacances et que je m’étais dis : pense un peu à toi, laisse-toi être égoïste le temps d’un repas, concentre-toi sur le goût, le plaisir, et ne pense pas à ces pis suintant sang et pus, à ces gémissements de terreur et de douleur qui se réverbèrent dans tous les abattoirs du monde, à ce grand massacre perpétuel, orchestré pour le profit et cautionné par toi. Bon, ça n’a pas trop marché, j’y pensais en mangeant et j’y pense encore.
Bref, revenons-en aux araignées. Si je ne les tue pas, ce n’est pas parce que je les aime comme toutes les autres bestioles vivantes, car j’en ai très peur et elles me dégoûtent, c’est simplement qu’elles me sont utiles. Hors, s’il y a bien une philosophie que je déteste, c’est celle qui consiste à trier le vivant en deux catégories : utiles et nuisibles (ou non-utiles). Et à considérer qu’aux uns on ne fait pas de mal, et qu’aux autres on peut leur trouer la peau, les torturer, les exterminer à volonté. L’esprit humain est ainsi fait de contradictions. Ne me dites pas que vous n’êtes pas vous-même contradictoire sur plusieurs plans, ou venez discuter une heure ou deux et je vous promets que je saurai vous faire remarquer en quoi vous êtes un·e petit·e inconséquent·e.
Et puis, je ne tue pas les araignées parce qu’elles vont dévorer les moustiques qui me pomperaient le sang ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Est-ce que ce n’est pas une complicité de meurtre ? Est-ce que ce n’est une non assistance à insecte en danger ? Car pour trois araignées que je laisse vivre, je peux vous assurer qu’une bonne cinquantaine de petits voleteurs nocturnes ont été liquéfiés…
Ah la la. La vie… l’éthique… c’est pas facile tout ça.