Je vais pas vous la faire façon mauvais stand-up. Quoi que… Allez, si. Version mauvais stand-up : « On a tous vécu ça, le moment où on t’appelle par ton nom de famille et ton prénom… » *rires* « [imite un vieux professeur] M’Rabet Jérémie !! » *rires* « On sait que ça va chauffer pour notre cul quand ça commence comme ça. » *rires* *rires* (oui, deux fois, le comédien a dit « cul »). C’est presque aussi nul que ce genre de stand-up, de se moquer de ce genre de stand-up. C’est comme si je vous disais : on a tous vu, un jour, un comédien commencer ses phrases par « on a tous vu, un jour, … » Alors j’arrête là. Cela dit le comédien n’aurait pas tord. Quand une personne que vous avez l’habitude de côtoyer se met à vous appeler par votre nom de famille suivi de votre prénom, ça va généralement chauffer pour votre cul, ou c’est du second degré.
Pourtant, il y a pire. Être appelé·e uniquement par son prénom, mais par un·e parfait·e inconnu·e. C’est ce qui m’est arrivé aujourd’hui. Je vous l’ai dit, je suis bénévole dans une association quelques heures par semaine. Quand je ne suis pas occupé à récupérer des livres ou à les mettre en rayon, je les vends au profit de l’association. À ces moments, je suis donc derrière une caisse enregistreuse. Et je porte un petit badge de bénévole. Un petit badge avec mon prénom écrit dessus.
Eh bien ça n’a pas manqué. On m’a appelé par mon prénom. Aujourd’hui-même, encore une fois. Mon cerveau a mis un petit moment à connecter les deux neurones qu’il fallait l’un à l’autre. Quand j’ai entendu « Merci Enrico » (oui, oui, je vous ai avoué m’appeler Enrico dans cette note autobiographique certifiée 100% véridique), j’ai d’abord regardé à droite et à gauche pour voir qu’elle ancienne connaissance m’avait retrouvé ici, avant de comprendre que je portais le badge et que c’était la femme juste devant moi, de l’autre côté du comptoir, à qui je venais de donner son livre qui m’avait ainsi remercié. Un peu gêné, je lui ai répondu quelque chose du genre : « ah oui, j’oublie toujours. » On a un peu ri, puis elle s’est en allé. On ne peut pas dire que ça m’a franchement agacé. Elle était à peine plus âgée que moi, et son copain était juste à côté. Ils souriaient tous les deux de l’effet de sa petite blague et de ma réaction, mais c’était clairement pas méchant. Vraiment gentillet même. Et puis y a le cadre aussi, c’est une association. Ambiance décontractée, en tout cas au rayon des livres.
Toutefois, je l’ai dit, sur le coup je me suis senti gêné. Gêné de n’avoir pas compris qui m’appelait alors que la personne était juste devant moi, d’accord, mais aussi gêné tout court parce que je ne me suis jamais présenté à cette personne. Je porte le badge pour m’identifier en tant que bénévole, pas pour qu’on m’appelle par mon petit nom. On pourrait pas vraiment me qualifier de sauvage, mais je vouvoie beaucoup, par exemple. Le tutoiement ne m’est pas toujours naturel. J’aime garder une certaine distance avec les gens que je rencontre pour la première fois, et il me semble que ça se respecte. Vous même je vous vouvoie souvent, d’ailleurs.
Donc, comme je le disais, dans le cadre de l’association, fait sans mauvaise intention, c’est passé. Mais, quelques minutes plus tard, j’ai repensé à cet article lu je ne me souviens plus où sur le port de l’uniforme et du badge en entreprise, et tout particulièrement pour les caissières·caissiers. On pouvait y lire que le fait qu’un client vous appelle par votre prénom pouvait vite tourner au harcèlement. Déjà, par le port du badge, la relation devient asymétrique, l’autre connaît votre prénom, vous ne connaissez pas le sien. La plupart des clients·es qui s’en serviront le sentent bien. Que répondre à « Alors, Enrico, elles viennent ces frites ! » ? Rien, vous vous la bouclez. Allez pas risquer de l’appeler par un prénom au hasard, ça ferait mauvaise moquerie. Au mieux vous répondez « Tout de suite monsieur. » Si vous tenez à votre emploi, vous vous écrasez. Comment justifier de s’emporter, même si le manque de respect est flagrant, quand votre prénom figure sur votre badge. Ce serait même fait un peu pour ça, le badge. Bon et je ne parlerai même pas des tentatives de drague par des lourdingues, voire des cinglés·es, qui maintenant savent comment vous vous appelez. Une histoire à vous faire détester entendre votre prénom.
Bref, je ne porterai plus mon badge. J’aime pas bien ça. Au fond, se faire appeler par son prénom par des gens qu’on ne connaît pas est un peu l’équivalent de se faire appeler par son nom de famille et son prénom par des proches. Dans les deux cas, on peut s’imaginer que les minutes qui vont suivre seront à rajouter à la longue liste des vexations qui jalonnent l’histoire de nos interactions ratées avec d’autres membres de notre espèce.
Mais allez, ne nous quittons pas sur cette note un peu triste, rions plutôt un bon coup avec la condition des femmes. Deux vieilles publicités vues à l’association dans une revue de 1949. La première est un classique, la deuxième un régal de bon goût.
À demain.
Il a bien grandi, R2D2.
Eh oui, c’est pour ça que le nain hésite à rentrer dans le costume malgré les encouragements bienveillants de Georges Lucas (à droite). Il a peur de ne plus pouvoir en sortir si ça continue comme ça.