Hier, j’étais trop occupé à rédiger une bonne vieille note de blog insipide au possible pour m’apercevoir qu’il s’était mis à neiger. Quelque part tant mieux, comme ça je peux vous en parler sans faire doublon aujourd’hui. En plus, j’ai des trucs à dire du coup.
Hier, donc, il a neigé à Montpellier, mais pas seulement. Hier, il a également souri à Montpellier. Qu’est-ce qu’il raconte l’autre ? vous vous dites. Je raconte que d’une je n’avais jamais vu la ville à ce point enneigée depuis treize ans que j’y habite, et de deux que je n’avais jamais vu autant de gens sourire en une seule journée. Mieux, échanger des sourires. C’était ça le plus dingue, chacun·e avait son petit smiley accroché au bec, et souvent les gens se souriaient en se croisant, jeunes et vieux pareil. On sentait qu’un évènement aussi rare, aussi soudain (la veille je jouais du Bağlama sur l’herbe en plein soleil place de l’Europe, vingt-quatre heures plus tard cette dernière accueillait une trentaine de bonhommes de neige), ça avait déclenché quelque chose chez les gens. Quelque chose de pas bien définissable, joie, soulagement du quotidien, émerveillement.
À quoi était-ce dû ? Les gens avaient trop de choses inhabituelles à voir, trop de détails à observer d’ordinaire invisibles mais qui mis en valeur par le revêtement blanc sautaient maintenant aux yeux, trop d’énergie à déployer simplement pour ne pas se casser la gueule. Résumons ainsi : ayant tout simplement trop d’information à traiter, les gens n’avaient plus assez de RAM pour porter leur masque habituel. Les défenses étaient tombées. On se sentait tous·tes un peu gauches, tous·tes un peu intimidés·es, tous·tes un peu excités·es, et on souriait. Et c’était bon. Bien sûr, ça fait réfléchir à pourquoi ces défenses sont là d’ordinaire. Pourquoi il faut de tels évènements pour que les gens laissent tomber les barrières intimes derrière lesquelles on protège nos pas-grand-chose. Pourquoi habituellement ces mêmes personnes se font la gueule au quotidien, s’ignorent, se snobent, se lancent de mauvais regards ? Tout ça a disparu pour un jour. On a vu des batailles rangées de boules de neige un peu partout en ville dès que le terrain était propice à établir des camps, des groupes mitraillaient les passants du haut des balcons du Peyrou en leur lançant des « on est bien désolés, mais vous avez le désavantage de la position » et zblaf ! À quelle autre occasion voit-on des inconnues·s se parler comme ça, jouer ensemble sans se demander leur avis au préalable et chacun·e l’accepter de bon cœur, le tout en étant sobres ? Jamais. Ne cherchez pas. Si on se gelait définitivement les parties, tout ça faisait quand même bien chaud au cœur.
Évidemment, vous le verrez ou l’avez déjà vu dans de nombreuses vidéo sur YouTube, Facebook et Twitter, les luges, skis et snowboards étaient également de sortie, boulevard Henri IV, rue de l’Université, avenue Henri Frenay. Rue de Villefranche, un bar clandestin éphémère s’était monté, pour un euro on pouvait poser ses fesses sur des tabourets en neige, boire un verre de vin chaud et manger une crêpe. Quoi d’autre ? La joie communicative des enfants à tous les coins de rue. Fallait voir les tout petits pousser leurs pépiements suraigües de surprise à chaque pas, emmitouflés dans leurs doudounes et cagoules, la morve en stalactite. Et même les un peu plus grands, qui faisaient des constructions, qui glissaient, couraient, se roulaient dans la poudre. Ils étaient heureux, et on voyait que leurs parents étaient heureux qu’ils soient heureux. Je ne pouvais pas m’empêcher de penser que c’était une belle consolation pour tous les enfants nargués inconsciemment par leurs copains·ines partis·es en vacance à la montagne et dont les parents ne pouvaient pas leur offrir des vacances aussi chères. Car il faut le dire, les vacances au ski, c’est pas pour n’importe qui, ça coûte un bras, ça coûte trop de sacrifices tout au long de l’année pour une semaine où l’on ne se sent pas à sa place quand on fait partie des couches les plus pauvres de la société. Et ben ils et elles l’ont eue, la neige, eux et elles aussi. Et c’est elle qui s’est déplacée. Elles·Ils ne se sentiront pas injustement plus bêtes que les autres à la rentrée quand chacun·e racontera ses souvenirs de glissades et de fou-rires et d’exploits sur patins. Elles et eux aussi en auront en mémoire, visuellement et émotionnellement. Merci la vie, des fois.
Bon, c’est certain, la journée n’a pas été drôle pour tout le monde. Pour moi, c’était fantastique de pouvoir observer ce joli petit peuple joyeux comme tout, malgré quelques pincements au cœur quand je me rendais compte que la majorité des gens se promenaient en couple ou en groupe, et qu’on était très peu de solitaires, mais ça passait vite. C’est ça qui est bien quand tout le monde se sourit. Non je parlais de vrais soucis, les glissades, les tombades. Moi j’ai glissé douze fois dans la journée, en quatre heures de promenade, et je ne suis tombé qu’une fois. Pas mal déjà, mais ce n’est rien. Combien de personnes âgées se sont fait le col du fémur ? Combien se sont ouvert le crâne ? Combien d’accidents de voiture ? Ne serait-ce que dans mon entourage, un gros carton sur la route, poumon perforé, bassin fracturé, vie sauve mais tout de même. Oui mais voilà, qu’est-ce qu’on peut y faire ? C’est pas de chance, c’est l’accident. On va pas se mettre à chialer pour ça si on a pas un·e proche à la morgue ou handicapé·e à vie. On va plutôt profiter des bons aspects et ignorer ce qui n’a pu être évité, ce qui ne pouvait être évité. On est bien démunies·s quand arrive un évènement pareil une journée tous les quinze ans, il n’y a pas grand chose à faire. Si, faire attention où on met les pieds, se précipiter pour aider quand en en voit un·e qui fait la tortue sur le dos, et puis rire.
Voilà, c’était une journée où il y avait, en plus de la neige, de la bonne humeur partagée dans l’air, de l’émerveillement dans les regards, des sourires sur les visages. Je souhaite que ça pousse les gens à être un peu plus tendres les uns envers les autres au quotidien, à moins se fuir. Y a pas de raison que les relations entre personnes s’apaisent uniquement les jours de neige. J’aimerais qu’on en garde quelque chose, de cette journée exceptionnelle à Montpellier, et que ce ne soit pas forcément des bleus aux fesses.
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