J’ai pas dit que c’était une bonne chose.
Auteur/autrice : Écrivouilleur
#295 – Allez voir ailleurs si j’y suis. SPOILER : j’y suis pas.
Mais Feldo y est. Oui, encore Feldo, toujours Feldo. Heureusement que j’ai des amis qui font des trucs, ça me permet de vous occuper pendant que mon blog est en jachère.
Et où est-il donc, Feldo ? En République Tchèque. Enfin non, il est en France. C’est moi qui suis en République Tchèque, mais c’est lui qui en parle. Et où en parle-t-il donc ? Eh bien sur le site fiction-interactive.fr, dans l’article : Films interactifs – Kinoautomat.
Ici pas de conseils touristiques, mais un très intéressant article sur un film produit il y a une cinquantaine d’année, précurseur d’un certain procédé cinématographique.
Sur ce, je retourne me faire exploiter par les stakhano-capitalistes que sont mes patrons, et j’espère que d’ici quelques semaines j’aurais à nouveau le temps d’enrichir le site plus fréquemment, vu que je viens de donner ma démission.
#294 – Ortographe et Expressions Françoises.
Les réformes de l’orthographe, on en cause, on en causait, on en causera toujours. En cela c’est un parfait sujet pour déclencher une belle engueulade familiale au réveillon, dans quelques jours. Essayez, vous verrez, ça vous évitera peut-être de vous y emmerder comme tous les ans. Notez tout de même que l’ampleur de l’engueulade est proportionnelle au nombre d’enseignants présents autour de la table, et que si votre famille est constituée uniquement d’enseignants, par mesure de précaution, appelez les pompiers avant de lancer le sujet. On en causait déjà, donc, en décembre 1665, des réformes de l’orthographe. Un certain D. E. D. nous fait le topo.
NOVVELLES
svr
LES SIENCES
Mercredy 2. Decembre m. dc. lxv.
Par D. E. D.
(…)
ORTOGRAPHE ET EXPRESSIONS
Françoiſes.
L’Ortographe, ou la droite & veritable écriture, êt celle qui répond plus parfaitement à la prononciation, & à l’uſage des Savans. Pluſieurs veulent que par l’Ortographe on évite encore les Equivoques, mais on ne les évite gueres que par le ſens, lequel il faudroit avoir perdu, ſi par exemple quand un Cavalier demande ſes botes, on le croyoit parler ou des botes de foin, ou des coups de fleuret, qu’on dit encore & qu’on écrit botes. L’Equivoque que ie voy plus generalement évitée par la nouvelle Ortographe, êt des i & des u conſonnes ou voyelles. Car aujourd’huy l’u quarré & l’i ordinaire sont voyelles : l’v rond & l’j long consonnes, par exemple dans le nom de cét Auteur jevius.
Ie croy que le retranchement des létres ſuperfluës, lequel on peut en ce temps remarquer dans la plus part des Livres, vient des Etrangers & des Hollandois principalement : de quelques Meſſieurs de l’Academie Françoiſe : de defunt Monſieur Sancteuïl : enfin de pluſieurs autres qui écrivent à peu prés comme on parle, & qui dans les connoiſſances qu’ils ont des Langues, ne craignent pas qu’on leur reproche d’ignorer la Gréque & la Latine, dont la nôtre dépend.
On a donq premierement rentranché l’S de tous les mots où l’on ne l’entend pas, comme d’être & de connoître. 2. l’H de pluſieurs autres mots : comme de Caractere, de la ſeconde ſyllabe d’Ortographe & d’Auteur qui vient d’Auctum pris dans Lucrece pour faire. 3. le P de Domter, qui vient de domitum. 4. le C de Savoir, que l’on voit eſtre tiré de ſapere. Pour le mot de Sience, il êt vray que les Latins l’écrivent aveq un C. Mais on peut aprendre dans l’Ariſtarque de Voſſius, que les Antiens le prononçoient comme un K ou un Q, & comme nous prononçons la premiere ſyllabe de Squinance. S’il falloit toûjours suivre l’Ortographe Gréque ou Latine, il faudroit écrire gar pour car, & grephe pour gréfe, Prebſtre, doubte, Cæſar, l’Hom ou l’Homme dit, au lieu d’on dit. Enfin on a retranché d’autres létres, comme l’un des deux a d’âge, le premier a d’à ſavoir, & l’e d’eu que quelques-uns écrivent û, le t de fruis, & ſemblables.
Rien ne choque davantage la plus part des Lecteurs, que de voir le verbe êt ſans s : enquoy ils témoignent peut-être plus d’habitude que de raiſon. Ils écrivent être & eſt : comme i’eſpere qu’ils écriront mettre & meſt pour met. Si l’écriture ſelon eux fait de la diference entre les choſes : comment n’en fait-elle point entre le verbe & le vent d’eſt. La raiſon qu’ils raportent, qu’on prendroit êt pour & conjonction, êt nulle. Car le ſens & l’accent l’en diſtinguent aſſés : comme ils diſtinguent aſſés ſon é ouvert des autres ſortes d’é, que les Grammairiens de nôtre langue expliquent.
On n’a pas ſeulement retranché des létres : on en a encore changé, comme ph de Filoſofe. Et à n’en mentir point, c’êt une maniére d’écrire, ſi on la ſuivoit, commode pour abreger, & pour éviter encore la prononciation de Pfiloſopfe, comme celle de Pfundanius pour Fundanius, remarquée par les Antiens.
Quelques-uns ont encore changé en s l’x final des mots, par exemple de ceux-cy, aus deus animaus, & l’s en z, uzage. M. Du Rier a encore changé le c final en q, par exemple dans aveq, afin de fermer le mot enſemble & la létre, car c n’êt qu’un q fermé, & afin de garder la méme létre dans l’alongement du méme mot, aveq avèque. Pluſieurs ont pareillement changé au en o comme en Povreté, où nul ne peut prononcer Pou-reté, à moins d’ignorer les premers élemens de l’Ortographe, & la diſtinction des létres.
Ce qu’on pourroit ſouhaiter, ſeroit d’étendre ces retranchemens & ces corrections de nôtre écriture, à quelques maniéres de nôtre expreſſion : car pour celles de la vie, ie les laiſſe, & ne parle que du parler méme. Surquoy ie m’étonne, qu’en la perfection où êt preſentément nôtre Langue, pluſieurs diſent & écrivent ou deux mots pour un : encore bien que, comme par exemple, puis apres, pour & afin, enfin pour concluſion, ou un mot pour un autre, comme auparavant luy pour avant luy, dedans les Livres pour dans les Livres, Chez Platon pour dans Platon.
En cette Sentence mémes : Il êt des Maîtres comme des Medecins : il faut toûjours prendre ceux qui ont plus d’eſprit, de doctrine, d’experience, & de fidelité, ce ſeroit ce me ſemble un pleonaſme ou une abondance vitieuſe, de dire le plus d’eſprit, le plus de doctrine.
Entre ces autres expreſſions : un Homme ſe remuë, une choſe ſe fait ou ſe dit : la premiere êt bonne & veritable. Mais pour les deux derniéres & toutes les ſemblables, il me ſemble que les gens d’eſprit commencent d’en corriger le contre-ſens, & de croire qu’une choſe ne ſe fait pas & ne ſe dit pas elle-méme : mais qu’on la fait & qu’on la dit, &c.
Source :
D. E. D. « Ortographe et expressions Françoises. » Nouvelles sur les siences, 2 décembre 1665, Paris, 1665, pp. 2–4.
Disponible sur Gallica.
Espérons que ça fasse relativiser un poil les puristes à la chouinette sensible qui passeraient par ici. Quoi ? C’est bientôt Noël, on peut toujours rêver.
#293 – C’est peut-être de la merde, mais maintenant c’est de la merde légale
Je viens de faire l’acquisition, très légalement cette fois-ci, du synthétiseur Vocaloid et de la voix synthétique nommée Flower. En trente petites minutes, on peut créer grâce à tout ça d’infâmes morceaux pop à base de voix robotiques, ce qui me plaît beaucoup puisqu’en ce moment je n’ai ni le temps ni les moyens matériels de faire mieux.
J’en ai bien bavé pour télécharger des gigabytes à 120 kb/s à l’heure où tous les voisins pompaient la bande passante ce soir, mais j’ai quand même pris quelques minutes pour tester le machin avant de devoir aller me coucher :
Vous pouvez entendre de la reverb, elle est native du logiciel. Pas mal d’effets sont déjà présents (compresseur, delay, disto… une dizaine en tout) de bonne qualité (c’est un produit Yamaha, les mecs débutent pas dans le métier…), et il y a encore plus de paramètres pour régler finement ses voix et les rendre les plus humaines possible que ce que j’expliquais de vocaloid 4 dans ces articles. C’est même incomparable niveau accessibilité, tous les défauts que je trouvais à l’ancienne version ont été gommés. N’importe quel-le amateur-trice (comme moi) peut en quelques secondes, et avec un peu de motivation, mettre en œuvre ses idées et les faire sonner correctement à grands coups de presets avec cette version 5 du logiciel.
Seul hic, toujours aucun vocaloid francophone. Il faudra faire avec la phonétique anglaise ou japonaise. Perso je prends la japonaise, mais comme je n’ai toujours pas le niveau pour écrire des chansons en japonais, c’est un vrai frein à la création. On reste dans l’onomatopée, les oooh, les aaah, les kiki kaka. Je veux dire qu’on serait forcé d’y rester, dans l’onomatopée, même en prenant plus de 20 minutes pour faire un vrai morceau, faute de paroles originales. Ou faudrait se cantonner aux reprises. Ou trouver un ou une poète du Japon pour nous pondre un joli texte.
Bon ben dans tous les cas maintenant je pourrais faire chanter des kaka kiki à un robot japonais en toute légalité, et qu’est-ce que vous dites de ça ?
#292 – J’ai trois minutes pour vous causer de mon cul
C’est une image. Mon cul en lui-même n’a rien à déclarer, sinon les ordinaires hauts et bas qu’un cul peut expérimenter dans le cadre de ses fonctions lorsqu’il change brusquement de pays et donc de régime. Passons.
La série sur le Fantastique Japonais de Félix Régamey était prête depuis plus de deux mois, il ne manquait que quelques notes de bas de page à terminer et quelques images à trouver, et je n’ai pu la poster qu’il y a deux semaines. J’vous essplique.
Vous vous rappelez peut-être comme je fanfaronnais d’avoir refusé un emploi à l’école Montessori de Prague car le contrat était bidon, eh bien j’ai signé un autre contrat encore plus bidon. Disons que j’ai tout de même bien moins de responsabilités et de travail pour le même salaire et la même absence totale d’assurance chômage et maladie. Quand je dis moins de travail, ça veut dire que je peux tirer au flanc quelques heures par nuit sur le lieu de travail, pas que je travaille moins d’heures. Par nuit ? vous dites-vous. Eh oui. Je suis désormais réceptionniste de nuit dans une auberge de jeunesse en plein centre de Prague, 12h par nuit, 7 nuits toutes les deux semaines. Je suis également prof de français quelques heures par semaine dans une école Britannique internationale, ça c’est les après-midi, histoire d’être bien sûr de n’avoir absolument aucun rythme de sommeil régulier.
Vous allez me dire que même si on rajoute les déplacements, cela ne fait toujours que 50h hebdomadaires (pour 800€), et que donc ça laisse bien du temps pour rédiger quelques notes de blog. Vous auriez raison si je n’avais eu à déménager mes affaires de Lyon à Prague en bus. Ce qui nous rajoute 36h de bus aller-retour à chaque fois, plus 24h à faire des valises et des cartons.
Pour venir compléter cette emploi du temps que certains macronistes d’entre-vous trouveront un peu light, n’oubliez pas qu’il me faut également dormir un peu, faire les courses, les repas et le ménage. Tâches toutefois partagées par mon amie, elle occupée à travailler 40h/semaine avec des personnes porteuses de handicap, rédiger un mémoire à distance avec allers/retours Prague-Bruxelles et passer son permis de conduire.
Voilà donc pourquoi je n’ai pas donné signe de vie depuis tout ce temps. Mais je suis toujours là, le déménagement est maintenant terminé et je commence (très doucement) à m’adapter à mon rythme de travail (beurk), je vais donc à nouveau pouvoir m’occuper du site.
Je me rends d’ailleurs compte qu’il doit désormais être indexé par les gros moteurs de recherche car je dois supprimer environ 50 spams dans les commentaires tous les deux jours depuis deux semaines, ce qui me fait me demander si c’est une bonne ou une mauvaise chose.
Dans les choses prévues pour la suite : un portrait de Félix Régamay pour venir compléter le dossier de son Fantastique Japonais, me remettre à alimenter le blog indépendant de la section musicouilleur, et si possible même composer quelques nouveaux morceaux.
À bientôt, donc, et merde au travail.
#291 – Le Fantastique Japonais de Félix Régamey (6)
LE FANTASTIQUE JAPONAIS (1)
II
le feu (Suite)
Soghen, mauvais prêtre, a scandalisé les fidèles par sa conduite dévergondée et déconsidéré l’église. Il a été bien sévèrement puni, car voici sa tête convulsée, soufflant, sifflant, grinçant des dents, qui passe emportée dans un tourbillon de flammes ; elle va, se heurtant à tous les obstacles que rencontre en chemin son vol capricieux, ainsi que celui des chauves-souris crépusculaires zigzagant dans l’espace. C’est à Kiotto, aux alentours du temple de Onganzi, qui fut le théâtre de ses exploits passés, que s’accomplit la pénitence de ce Juif-Errant des airs (Fig. 22).
Wa Nioudo, est le nom qu’on donne à cette machine phénoménale qui doit son origine à l’avarice extrême d’un bonze médiocre, dont le châtiment rappelle celui du précédent.
Depuis sa mort, sa tête monstrueuse, séparée du tronc, s’en va, roulant éperdue dans la nuit ; elle est devenue le moyeu d’une lourde roue enflammée qui court les rues de Kiotto, jetant l’effroi sur son passage, et c’est une fâcheuse rencontre que de se trouver nez à nez avec ce véhicule effréné ; plus fâcheuse encore s’il vient heurter à votre seuil ; le moyen d’éviter qui pousse plus avant existe cependant ; il ne s’arrêtera pas chez vous, si vous avez eu soin d’écrire ce simple mot : « Komotokoroshoponosato » ! (Fig. 23)
Les Japonais disent : « Frappez du doigt à petits coups sur le crâne d’un bonze, le son sera le même que si vous frappiez sur une calebasse vide. » Ce proverbe ne témoigne pas d’un respect bien profond pour le sacerdoce ; c’est qu’aussi à côté d’individualités douées de rares vertus et d’un haut mérite, les faibles d’esprit, ratatinés par l’abus des patenôtres accompagnées de roulement de gros tambour qui durent des journées entières et du couchant à l’aurore, ne sont pas rares, et nous venons de voir que ces religieux n’ont pas plus qu’ailleurs le monopole exclusif de la vertu.
Ce ne sont cependant pas ces brebis galeuses qui pourront ébranler sérieusement cette foi aimable, naïve et aussi gouailleuse, qui fait, au Japon, si bon ménage avec l’esprit d’obéissance et de discipline, et chacun n’en remplit pas moins très exactement — sans trop d’emportement toutefois — les prescriptions du culte.
Il est d’usage de célébrer au temple un service pour les morts de qualité : c’est la nuit pendant la veillée funèbre qu’apparaît l’oiseau noir aux yeux luisants qui vomit du feu par le bec, avec un grand bruit d’ailes (Fig. 24).
Omoraki, oiseau funeste, que t’a fait ce cadavre dont tu viens troubler le repos ? Cette question, que nous n’avons pas eu d’ailleurs, l’occasion de lui poser directement, est restée sans réponse. Nous n’avons donc d’autre ressource que de nous perdre en conjectures.
L’histoire naturelle a été, dans tous les temps et dans tous les pays, une source inépuisable de récits fabuleux, de cocasseries fantasques ; les bons auteurs japonais ne sont pas restés en arrière sur ce chapitre, comme bien on pense. Non contents d’inventer de toutes pièces toutes sortes de bêtes apocalyptiques telles que le kilin, le dragon, etc., ils ont prêté à certains animaux existant réellement des traits et des mœurs que Buffon n’a jamais entrevus.
C’est ainsi que, d’après eux, le tapir peut procurer des rêves heureux, à la condition de broder son image sur les oreillers ! Qu’un corbeau noir habite le soleil et qu’un lapin blanc est visible dans la lune où il pile sans relâche du riz dans un mortier.
Voici maintenant pour le tigre : Cet animal qui a la taille d’un bœuf, dort le jour dans les cavernes, ne sort que la nuit en quête d’une proie, et alors un jet de lumière s’échappe d’un de ses yeux, éclairant la campagne qu’il fouille avec l’autre !
Ce qu’on raconte du chat n’est pas moins surprenant. Ce n’est pas à cause du fameux ver dont il est parfois question dans nos loges de concierge, que les Japonais coupent inexorablement le bout de la queue de leurs chats — c’est pour qu’ils ne deviennent pas trop vieux.
Le chat doit l’immortalité à sa queue intacte, disent-ils. Ne chicanons pas là dessus, mais en quoi l’immortalité des chats peut-elle bien les gêner ? et est-il bien sûr ensuite que le moyen employé pour les y soustraire soit bien efficace ?
Le chat, après qu’il a vécu des siècles, devient terrible, son poil se hérisse et il n’apparaît plus qu’environné de flammes ; il change alors son nom ordinaire de Nekko en celui de Kansha, et se livre à des déprédations redoutables ; bien des bouleversements lui sont dus, et il montre un goût particulier pour les femmes dont il déterre les cadavres, qu’il dévore (Fig. 25).
C’en est assez, n’est-ce pas, pour motiver toutes les précautions, et puisque le Kansha ne se montre plus depuis qu’on coupe la queue du chat à sa naissance, c’est bien la preuve que la précaution est bonne à prendre.
Voici maintenant les furets flamboyants, titans en miniature, qui semblent vouloir escalader le ciel, à les voir se dresser, grimpant les uns sur les autres au sommet des arbres. (Fig. 26).
Cela n’est pas vu d’un très bon œil par les bonnes gens voisins de l’endroit où ont lieu ces acrobaties — Signe d’incendie, disent-ils, au diable les furets flamboyants ! »
Enfin, voici une sorte de vampire fulgurant, aux yeux ronds, aux crocs aigus et à forte griffe (Fig. 27).
Toujours bondissant, il opère de préférence dans les jardins ; les dégâts qu’il cause sont considérables, son haleine brûlante dessèche les plantes frêles, flétrit les fleurs et fait tomber les feuilles des arbres, et partout où il passe, c’est comme si le feu y avait passé.
(A suivre)
Félix Régamey.
(1) Voir le t. III, p. 141, 189, 257, 576, 639.
- Soghen : Sōgenbi (叢原火 ou 宗源火)
- Kiotto : Kyōto (ou Kyōto-shi 京都市)
- Temple de onganzi : Fait probablement allusion à l’un des bâtiments liés à la secte Hongan-ji (本願寺)
- Juif-Errant : personnage mythique privé de la mort et condamné à errer sur terre éternellement.
- Wa nioudo : Wanyūdō (輪入道)
- « Komotokoroshoponosato ! » : 此所勝母の里 (このところしょうぼのさと) kono tokoro shobo no sato « Ici c’est le village de Shōbo ». D’après l’article d’Andrew Kincaid citant lui-même l’ouvrage Yokai Attack! The Japanese Monster Survival Guide de Hiroko Yoda et Matt Alt (Tuttle, 2012), ce serait une référence à une histoire confucéenne dans laquelle l’un des disciples de Confucius aurait évité la ville de Shōbo dont les caractères, 勝母, peuvent être lu comme « triompher de sa mère ».
- « Frappez du doigt à petits coups… » : J’ai pas trouvé l’origine de celle-là, mais ça m’intéresse…
- Omoraki : Onmoraki (陰摩羅鬼 ou 陰魔羅鬼)
- Kilin : kirin (麒麟, きりん), créature de la mythologie chinoise, mélange de cerf et de cheval portant souvent pelage et écailles.
- Buffon : Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, (1707-1788). Naturaliste, biologiste et philosophe, auteur de L’histoire Naturelle, générale et particulière, avec la description du Cabinet du Roi, publiée en 36 volumes entre 1749 et 1789.
- Tapir brodé sur l’oreiller : baku (獏 ou 貘), il dévore les cauchemars.
- Corbeau dans le soleil : Yatagarasu (八咫烏), corbeau à trois pattes qui représente le soleil et l’habite.
- Lapin sur la lune : Tsuki no Usagi (月の兎), sur son astre il pile du riz dans son mortier au Japon, s’attelle à la préparation d’un élixir de vie en Chine.
- Tigre : Je n’ai trouvé aucune référence au tigre à l’œil-torche ailleurs.
- Kasha (火車) :
- Furets flamboyants : Ten Itachi (鼬)
- Sorte de vampire fulgurant (fig. 27) : Furaribi (ふらり火)
Pour voir l’intégralité du contenu lié au Fantastique Japonais de Félix Régamey dans la Revue des Traditions Populaires, consultez le dossier (Régamey file / 一件書類).
#290 – Le Fantastique Japonais de Félix Régamey (5)
LE FANTASTIQUE JAPONAIS
II
le feu (Suite).
Ecoutez la touchante histoire de la pauvre petite servante aux mains de beurre — ainsi dit-on de celles qui laissent tout tomber — histoire bien souvent racontée au Japon, où elle est populaire sous le titre de Bentio Sara Yaski.
Un jour qu’elle lavait la vaisselle, la petite servante eut le malheur de casser une des dix assiettes dont se composait un service très précieux et de grand prix.
La colère du maître fut terrible et, de désespoir, la fille alla se jeter, la tête la première, dans un puits qui, dès lors, ne peut manquer d’être hanté.
Une lueur livide, de sourds gémissements répandent chaque nuit l’épouvante dans le voisinage. Ces rumeurs annoncent la présence du fantôme, qui se dresse, apparition sinistre, au-dessus de la margelle (fig. 19). De sa bouche s’échappe une longue flamme qui tient en suspension des assiettes semblables à celles du service dépareillé ; elles surgissent une à une, et, à mesure, le spectre en fait le compte… trois, quatre, cinq, six… jusqu’à neuf, chiffre qui n’est jamais dépassé, et où la voix s’arrête et se brise dans un sanglot.
Ainsi la malheureuse compte et gémit jusqu’au jour.
Toute cette fantasmagorie est venue s’ajouter à un fait divers authentique que l’imagination des bonnes gens s’est plu à embellir et à surnaturaliser.
Autre histoire fantastique où la curiosité est sévèrement punie.
C’est la nuit… la maison est bien close… une mère veille auprès de son enfant endormi. Un bruit insolite, venant du dehors, et semblable au roulement d’une lourde charrette, lui fait dresser l’oreille, et l’attire. Par la fenêtre entrebâillée elle voit passer dans un tourbillon de feu un véhicule des plus extraordinaires : (fig. 20) une roue, un timon sur lequel est à demi couchée une femme à l’opulente chevelure, dont les chairs nues sont léchées par les flammes.
Eblouïe et terrifiée par ce spectacle qui n’a duré que quelques secondes, la mère a refermé son volet. Elle s’aperçoit alors que son enfant n’est plus là… il a disparu !…
Une nuit horrible, une journée plus horrible encore, s’écoulant lentement ; le soir venu l’infortunée frémit en se retrouvant seule avec sa douleur.
« Ma curiosité était-elle donc si coupable ? s’écrie-t-elle ; mais mon fils, lui, est innocent ! Pourquoi le punir, justes dieux !… pourquoi le priver de sa mère ?…
Ainsi s’exhale sa douleur en des vers, assez bien tournés sans doute, puisque sa plainte est entendue et qu’une voix lui répond :
« Ton enfant te sera rendu ; mais que cela te serve de leçon ; sois moins curieuse à l’avenir… »
Et subitement l’enfant se retrouve dans ses bras.
Ceci nous prouve qu’au Japon les dieux ne sont pas inexorables, non plus que dédaigneux de poésie.
(A suivre)
Félix Régamey.
(1) Voir le t. III, p. 141, 189, 257, 576.
NOTES ET COMMENTAIRES
- Bentio Sara Yaski : Banchō Sarayashiki (番町皿屋敷)
- fig. 19 : Sarakazoe (皿数え)
- fig. 20 : Katawaguruma (片輪車)
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#289 – Le Fantastique Japonais de Félix Régamey (4)
LE FANTASTIQUE JAPONAIS (1).
II
le feu
La coutume ne se rencontre guère que chez nous de saluer les morts au passage ; les étrangers voient là le comble de la politesse française et les Japonais ne ont pas les derniers à s’en montrer surpris.
Un peuple peut être aimable et poli, doué de sentiments délicats et tendres et ne rien comprendre aux honneurs et aux soins exagérés que parfois l’on prodigue au corps — cette guenille — que la vie a quitté.
Tel le Japon, où le culte des ancêtres est cependant en grand honneur, et c’est ici que se manifeste clairement la différence qui existe entre le sentiment religieux épuré et l’idolâtrie bestiale dont peut se réclamer le fétichisme du cadavre.
Il est hors de doute que nous faisons dans la vie — matériellement — la place trop grande à la mort ; elle nous envahit et nous encombre. Il y aurait certainement de quoi donner à réfléchir si l’on pouvait dire la dépense énorme et inutile occasionnée par nos « convois, services et enterrements. »
Il paraît cependant que, même au Japon, où les vivants font si bon marché de ce qu’on est convenu d’appeler les pompes funèbres, il est des morts qui s’accommodent mal de l’abandon de leurs restes.
Témoin cette vieille femme, la plus obstinée qui ait jamais vécu sur la terre. Depuis des siècles elle ne se lasse pas de venir se plaindre du traitement qu’on lui fit subir jadis ; le Japon était encore plongé dans la barbarie et il était d’usage alors de se débarrasser violemment des dames devenues trop vieilles, qui par conséquent avaient cessé de plaire.
Celle-ci ayant éprouvé le sort commun, jamais n’avait pu prendre son parti d’avoir été jetée du haut au bas d’un roc à pic et d’être restée privée de sépulture.
C’est pourquoi, encore aujourd’hui, quand la nuit est bien noire, on voit planer et l’on entend grésiller le feu de la vieille femme. (fig. 16).
On doit se féliciter de ce que les esprits des morts apportent généralement plus de discrétion dans leurs récriminations.
Toyo-Foussa, avec qui nous avons déjà fait connaissance, nous montre (fig. 17) rasant la terre, une de ces flammes légères, sans chaleur et semblables à nos esprits follets, qui naissent, brillent et s’évanouissent dans les airs qu’elles n’agitent même pas, sans laisser aucune trace de leur passage : elles sont comme ces doux reproches à peine sensibles faisant naître sur nos lèvres le triste sourire qui s’efface à peine ébauché…
C’est sur l’emplacement d’un cimetière abandonné que l’artiste a vu voltiger cette flamme qui éclaire ici la vaine et fugitive apparence du monument élevé jadis à la mémoire d’un noble inconnu et dont il ne reste pas une pierre. Emanation suprême, dernière supplication de la mort à la vie…. mais bientôt la petite flamme elle-même s’éteindra pour toujours et tout sera fini.
Mais de même qu’il est des mémoires qui ne s’effacent pas de la pensée des hommes, il est des monuments qui résistent aux injures du Temps. Celui de Yeyas — le fameux Shiogun, un des héros de l’histoire Japonaise — qu’on voit à Nikko, est du nombre, et rien ne saurait mieux donner l’idée de la magnificence et de la grandeur du site, de la beauté des temples qui l’environnent, que ces vers d’un de mes bons camarades du Japon, qui eut cette bonne chance d’y vivre plus longtemps que moi.
Un amas de montagnes vertes
Dressant au ciel leurs grands sapins,
Les torrents des cîmes désertes
S’engouffrent au fond des ravins,
Les mystérieuses allées
Sans une voix, sans un écho,
Conduisant jusqu’aux mausolées…
C’est presque un rêve et c’est Nikko !
…………………………………………
Le héros du Japon sommeille
Dans cet ensemble harmonieux ;
Auprès de sa grand ombre veille
Un peuple d’esprits et de dieux.
Les symboles et les figures
Du paradis Oriental
Semblent vivre dans ces sculptures
Qu’anime un souffre d’idéal.
La pourpre, l’or, l’azur ruissellent
Mariant leurs vives couleurs,
La grâce et la terreur se mêlent :
Oiseaux, dragons, monstres et fleurs
C’est tout un monde fantastique
De bronze, de pierre et de bois ;
C’est l’encadrement poétique
Aux mânes des grands et des rois !
………………………………………
Mais hélas, le sort de Yeyas n’est pas réservé à tous les héros ! Combien sont morts ignorés en combattant, dont aucun monument ne célèbre les vertus guerrières.
Après la bataille, vainqueurs et vaincus ont été enfouis à fleur de terre, à l’endroit même où ils sont tombés ; ainsi leur dépouille a pu être soustraite à la dent des animaux voraces et aux ongles acérés des oiseaux de proie ; mais le sol, fouillé par la pluie d’orage, a bientôt rendu les ossements blanchis des cadavres qu’on lui a confié, et ceux-là aussi donnent lieu à de petites flammes errantes dans la nuit.
L’aspect de ces flammes ne présente rien de bien particulier, elles ne méritent pas l’honneur de la reproduction.
Il n’en est pas de même de celle que, sans quitter le théâtre de la guerre, je tire d’un petit manuscrit du siècle dernier, signé Okamoto Auské, savant samouraï, professeur de tactique et d’art militaire.
Ce manuscrit se compose d’une trentaine de croquis, avec texte, représentant des villes assiégées, semblables à peu de chose près à celle qui est reproduite ici (fig. 18). Au milieu de la page, des rochers et des maisons avec une clôture de bambous ; en bas, la légende expliquant les choses étranges qu’on voit apparaître en haut dans le ciel. Ces choses sont les signes d’après lesquels les assiégeants doivent diriger leur conduite ; il y en a pour toutes les heures du jour et de la nuit, ayant chacun un sens particulier, qu’explique l’auteur de ce curieux traité.
C’est tantôt un cheval noir pétaradant dans les nuages, tantôt un bœuf tenu en laisse, un étendard gigantesque, un oiseau rouge aux ailes déployées, des embrasements, des feux volants ; la flamme énorme qui se voit dans notre croquis planant au-dessus de la ville, signifie que les assiégés préparent une sortie, et avertit les gens du dehors d’avoir à se tenir soigneusement sur leurs gardes.
Nous revenons aux sépultures avec ce dernier dessin (fig. 19).
Pour marquer la place où sont déposées les cendres du commun des mortels, il suffit d’une longue et mince planchette de bois sur laquelle un bonze a tracé quelques caractères. Et ici, cendre ne doit pas être pris au figuré, car on incinère au Japon, tant bien que mal, plutôt mal que bien, s’il faut en croire Toyo-Foussa, qui représente un mal brûlé reparaissant la nuit parmi les flammes, son chapelet à la main.
Félix Régamey.
(1) Cf. Voir le t. III, p. 141, 189189, 257. (Les Génies de la Maison).
NOTES ET COMMENTAIRES
- Jeter les vieilles femmes : Ubasute (姥捨て) ou uyasute (親捨て), littéralement « abandonner une vieille femme ». Pratique consistant à abandonner une personne âgée dans un lieu isolée pour l’y laisser mourir, généralement en haut d’une montagne enneigée, plutôt que de la plonger dans un ravin. D’après les recherches actuelles on considère que cette pratique n’a jamais réellement été répandue, mais a surtout été utilisée en littérature pour sa puissance symbolique.
- Le feu de la vieille femme : Ubagabi (姥ヶ火). Aucune autre source écrite ne semble lier ce yōkai à l’ubasute. Il s’agit le plus souvent d’une vieille femme transformée en boule de feu pour avoir volé de l’huile dans un temple au cours de sa vie, un peu à la manière d’Abura-akago.
- Fig. 17 : Haka no hi (墓の火)
- Yeyas : Tokugawa Ieyasu (徳川家康), 1543-1616, daimyō (seigneur de terres) puis shōgun (général des armées). Sous son impulsion, à partir de 1603 et jusqu’en 1868, le Japon sera dirigé par le shōgun et non plus par l’empereur. C’est sous son règne également que Tōkyō (alors appelée Edo) devient la capitale du Japon.
- Tombe d’Ieyasu au sanctuaire tōshō-gū de Nikkō :
- Flames des morts après la bataille : Kosenjōbi (古戦場火)
- Okamoto Auské et Fig 18. : en cours d’élucidation… Pour l’instant je ne ne retrouve aucune trace de ce document ni de ce nom.
- fig. 19 : Kazenbō (火前坊)
- « Longue et mince planchette de bois » mortuaire : Itatōba (板塔婆) (également appelée sotōba (卒塔婆)), littéralement « Stūpa/pagode en bois ».
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#288 – Le Fantastique Japonais de Félix Régamey (3)
LE FANTASTIQUE JAPONAIS(1)
I. — (Suite)
Il était une fois un épicier peu scrupuleux nommé Aboula Akango, qui avait trouvé le moyen de s’introduire la nuit dans les temples afin d’y soutirer l’huile des lampes sacrées.
Ce procédé indélicat aida nécessairement à la prospérité de son commerce en lui permettant de vendre sa marchandise pour presque rien, à la vive satisfaction de ses clients et au grand étonnement de ses confrères.
C’est ainsi qu’admiré et envié des uns et des autres, il put jouir, sa vie durant, de la considération générale.
Les dieux ont de ces indulgences singulières ; qu’ils pardonnent ou qu’ils châtient, leurs desseins sont impénétrables. Ils ne demandèrent compte de sa conduite à l’épicier qu’après sa mort. Le caractère sacrilège de son méfait semblait exiger un plus rapide châtiment.
Aussi bien il ne perdit rien pour avoir attendu et il fut puni par où il avait péché.
Son âme (fig. XI), sous la forme d’un enfant de médiocre apparence, fut condamnée à errer, en proie à une soif inextinguible, n’ayant pour l’apaiser d’autre breuvage que l’huile des veilleuses des bourgeois endormis, et sa pénitence durera tant qu’il y aura des bourgeois qui s’éclaireront à l’huile.
Le pétrole, dont la consommation augmente tous les jours au Japon, mettra peut-être un terme au tourment d’Aboula Akango ; espérons-le pour lui.
Les trépassés, qui, dans le cours de leur existence se sont abandonnés à la paresse, en font aussi une grande consommation et se plaisent à la troubler, de façon à l’empêcher de brûler convenablement.
Cependant la lampe du dormeur n’a rien à redouter des entreprises de l’ombre du paresseux ; (fig. XII) il ne vise que celle du travailleur ; puni pour n’avoir rien fait de son vivant, il n’entend pas que les autres soient plus vertueux que lui.
Le rusé marchand d’huile, cité plus haut, pourrait bien ne pas être étranger à la naissance de cette légende — à la bonne marchandise provenant de ses vols, il devait infailliblement en mêler de mauvaises, et alors quelle réponse facile à opposer aux réclamations de ses crédules pratiques :
L’ombre du paresseux avait passé par là.
On a pu voir par les croquis précédents que les Japonais donnaient à leurs appareils d’éclairage les formes les plus variées. Parmi la multitude de leurs lanternes, rondes, oblongues, en papier, en pierre ou en bronze, l’andou est celle dont ils se servent dans l’intérieur des maisons ; c’est un meuble de première nécessité.
La lampe de celui qui est représenté à la fig. XIII, est allumée par cent petites mèches et donne lieu à un jeu de société.
Au Japon on a mille façons d’égayer les soirées — musique, ballet, chansons et festins ; il y a aussi ce qu’on appelle les soirées de dessins, où chaque invité avec plus ou moins de talent, mais toujours avec une dextérité rare, fait sur des morceaux de soie blanche de petites aquarelles, laissées en souvenir au maître de la maison.
De terrifiantes histoires de revenants, à faire dresser les cheveux sur la tête, font aussi quelquefois les frais de certaines réunions, et c’est alors qu’intervient l’andou aux cent petites mèches.
Aussitôt qu’une histoire est finie — et chacun dit la sienne — quelqu’un dans l’auditoire doit sortir et aller éteindre une des mèches de la lampe qu’on a eu soin de placer dans un endroit sombre et écarté.
Tant qu’il s’agit des premières mèches les choses se passent sans trop d’encombre, mais malheur à ceux qui ont à éteindre les dernières ; ils se trouveront en présence du spectre qui apparaît quand la lampe va s’éteindre (fig. XIII) ils verront ses cornes et ses yeux sanglants dans une face verte au rictus excessif, encadrée de l’épaisse chevelure qui tombe droite et lui fait comme un grand linceul noir.
Ne voilà-t-il pas une singulière distraction, et pourquoi ajouter à des récits déjà suffisamment effrayants cette évocation plus effrayante encore ?
La vérité est que les bons Japonais ne s’émeuvent pas de ces sortes de choses plus qu’il ne convient. Au fond il ne sont pas si crédules qu’ils en ont l’air et pour eux, tout est matière à sport et à amusements ; ce sont de grands enfants naïfs et madrés tout à la fois, et comme les enfants, ils ne dédaignent pas de se faire un jeu de l’effroi provoqué d’une manière factice.
Ce ne sont pas non plus des esprits forts ; à trop jouer avec le feu on arrive à se brûler, à trop s’occuper du diable on finit par y croire un peu ; et c’est comme lorsqu’on parle du loup…
Il résulte de cela que les paysans de là-bas n’ont rien à envier aux nôtres sous les rapport des croyances qui engendrent la terreur.
Cependant si vous interrogiez l’un d’eux sur Osakabé (fig. XIV), le démon des ruines et des vieux châteaux inhabités, il vous répondra par un hochement de tête énigmatique et plein de promesses… qui ne se réalisent jamais. Sur ce chapitre il pourra rendre des points au plus prudent des Normands, tellement ses dires manqueront de précision ; Toyo Foussa lui-même, pour se procurer les renseignements nécessaires à l’exécution du portrait de ce démon, a dû avoir bien du mal.
Il nous le présente sous les traits d’une grande vieille en costume de cour, sa puissante mâchoire est armée de crocs aigus, ses cheveux sont gris. Elle se tient cachée, accroupie derrière un store qu’elle soulève et des chauves-souris voltigent autour de son visage inquiétant.
L’aspect de ces ruines n’a généralement rien d’imposant ni rien qui approche de l’effet grandiose produit par les hautes tours démantelées et les écroulements cyclopéens de notre moyen-âge.
Les boiseries sont vite pourries et les cloisons en papier, abandonnées aux caprices de la pluie et du vent, ne tardent pas à se crevasser et à tomber en lambeaux. Alors, quand vient l’heure crépusculaire, le passant égaré prête un regard à ces débris et n’a rien de plus pressé que de s’y soustraire en prenant la fuite. On a beau avoir la conscience en repos, un mur qui regarde, cela n’a rien de bien rassurant.
Mais que pensera en pareille occurrence, celui dont le crime est resté impuni ? Pour lui, les yeux se multiplieront ; où il y en a un, il en verra cent, et rentré chez lui grelottant, rongé par le remords, il reconnaîtra le fantôme de sa victime dans l’ombre que feront sur sa cloison transparente, les branches se balançant au clair de lune.
C’est le sujet du dessin qui termine cette série des génies de la maison (fig. XV).
(A suivre)
Félix Régamey.
(1) Voir les numéros de mars. et avril..
NOTES ET COMMENTAIRES
- Aboula Akango : Abura-akago (油赤子)
- fig. XII : Himamushi nyūdō (火間虫入道 ou 火間蟲入道)
- Andou : andon (行灯), lampion japonais
- Réunions où l’on se raconte de terrifiantes histoires de revenants : Hyakumonogatari Kaidankai (百物語怪談会) qui traduit littéralement donne : « rassemblement de cent contes fantastiques »
- le spectre qui apparaît quand la lampe va s’éteindre : Aoandon (青行燈) ou « lampion bleu ».
- Osakabé : Osakabe-hime (長壁姫). Régamey l’a décrite comme le démon des ruines et des vieux châteaux en général, ce qui est assez curieux car d’ordinaire son histoire est très spécifiquement liée au château de Himeji (姫路城).
- fig. XV : Kage-onna (影女), apparition sous forme de l’ombre projetée d’une femme sur les murs des maisons japonaise.
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#287 – Le Fantastique Japonais de Félix Régamey (2)
LE FANTASTIQUE JAPONAIS (1)
I
les génies de la maison
Un trait aimable, qui ne se rencontre guère ailleurs, aussi marqué que chez le peuple japonais et jusque dans les plus basses classes, est son amour extrême pour la propreté — bien différent en cela des Chinois, voisins exécrés, qui vivent volontiers dans l’ordure. On sait la prédilection toute particulière, que ces derniers affichent pour l’engrais humain et les résultats remarquables qu’ils obtiennent, grâce à l’emploi copieux et raisonné de cette matière appliquée à des terres que n’ont pas encore épuisé des siècles de culture.
Habitants de Saint-Germain qui jetez les hauts cris quand on parle de prendre un coin de votre forêt pour faire l’essai de ces procédés chers au Céleste-Empire, et qui vouez aux dieux infernaux le Conseil municipal de Paris, auteur du projet, n’allez pas en Chine.
Allez plutôt au Japon. C’est en vous bouchant les oreilles que vous écouterez sa musique et sans doute, vous fermerez la bouche devant sa cuisine, mais certainement c’est un pays où vous ne regretterez pas d’avoir mis le nez. Celui des Japonais est peut-être moins sensible que le nôtre ; toutefois ils sentent bien, ces artistes si heureusement doués sous le rapport de la vision et du tact, qu’une odeur trop violente, bonne ou mauvaise, troublerait l’équilibre harmonieux qu’ils ont su créer autour d’eux — et c’est pourquoi il y a bien peu de mauvaises odeurs au Japon.
Celles qui existent, sont dues le plus souvent à la mauvaise disposition des fosses d’aisance. Sans entrer dans le détail de leur construction, il suffit de savoir que la clôture n’en est pas suffisamment hermétique et qu’elles se trouvent généralement trop rapprochées de l’habitation.
Cet état de chose particulier a donné naissance à un mauvais esprit : Kado (fig. VI), qu’on dit venir de la Chine. C’est bien le cadeau qu’on pouvait attendre d’elle.
C’est le dieu Stercutius que les Grecs ont représenté sous la forme d’un serpent replié sur lui-même. Kado, lui, est un être à longues oreilles, griffu, au souffle empesté et dont le haut du corps, seul visible, se balance, rattaché au sol par une sorte de trait-d’union ondulatoire et gazeux…..
C’est aspect formidable et peu ragoûtant ferait croire qu’il n’y a qu’à s’incliner devant lui. Il n’en est rien. Une formule d’exorcisme suffit pour le rendre inoffensif pendant toute une année :
« Kambari mondo hototoguis »
pourvu qu’elle soit prononcée sur les lieux le soir du dernier jour du dernier mois. Désormais rien à craindre de Kado, sa rage est impuissante, son souffle purifié — et c’est de ses lèvres que s’envolera l’hototoguis, l’oiseau aimé du proscrit et du voyageur, qui revient au printemps comme l’hirondelle de nos romances, et dont le cri se traduit par ces mots : « Rentrez au foyer » de même qu’en français on entend la caille dire : « Paye tes dettes. »
A époque fixe, tous les ans, la maison japonaise est soumise à un nettoyage général, ainsi que tout ce qu’elle contient. Tous les jours ses habitants se livrent à d’abondantes ablutions ; l’heure du bain est réglée comme celle des repas, et il faut que le logis soit bien pauvre pour que ne s’y trouve pas dans quelque coin la massive baignoire en bois, munie de son fourneau. L’eau atteint dans cet appareil un degré de température assez élevé pour faire reculer tout autre qu’un Japonais. On sort de là à moitié cuit, rouge comme un homard.
Il existe en outre des bains publics, où l’on est reçu sans distinction de sexe — un peu comme sur nos plages — et sans voiles.
Le peu de souci de la pudeur qu’ont les gens dans cet heureux pays, leur épargne bien du vague à l’âme… et procure à l’artiste de vives jouissances esthétiques.
Quel spectacle admirable que celui de ces nudités se livrant au regard sans aucun embarras et sans penser à mal.
Le jour va finir, le soleil rougit la cime des cryptomérias gigantesques, une légère brise venue de la mer se joue dans le feuillage délicat des bambous dont la tige frêle reste droite, et les lotus roses, fleurs idéales et sacrées, largement épanouies, mettent leur éblouissement sur les eaux vertes d’un étang, où se reflète la suprême clarté du ciel.
Là, une famille de paysans a établi sa salle de Bain, avec tous ses accessoires, sous l’avancée du toit de chaume trapu, frangé d’iris, qui abrite la maison. La tâche journalière est achevée.
L’homme le bras relevé, d’un beau geste, s’essuie le dos ; la femme accroupie, tord des linges mouillés ; deux marmots barbottent, assis l’un en face de l’autre dans un baquet, avec de l’eau jusqu’au menton ; une fillette debout sur ses hauts sabots de bois, est comme enveloppée d’un grand parasol de papier rouge, largement ouvert qui lui sert de fond et donne à sa chair un ton mat d’une douceur exquise.
Ces figures nues forment dans la verdure, un groupe magnifique.
C’est plus qu’il n’en faut pour ravir l’œil chaste de l’artiste, et nous contemplons cet émouvant paysage, sans songer au costume ridicule que nous portons, qui le déshonore.
Ces pauvres gens sont propres, ils sont Japonais, et ce n’est pas chez eux que le nommé Anakanamé (fig. VII) trouvera rien à lécher.
Ce bizarre personnage a pour fonction de nettoyer les baignoires qui ne sont pas assez soigneusement entretenues, avec sa langue dure qui arrive bien vite à attaquer le bois. Son nom, traduit littéralement, veut dire : lécheur de crasse. Le pauvre ! il ne lui est accordé par la légende qu’un doigt à longue griffe, aux pieds et aux mains.
Tenjo-Hamé (fig. VIII), autre lécheur. C’est lui que vous voyez apparaître dans une sorte de clarté livide, l’hiver pendant les longues nuits froides qui font le sommeil mauvais. Les mains et les pieds de ce monstre sont faits de papier découpé par petites bandes frisées, ainsi que le costume sommaire qu’il arbore. Il doit à sa grande taille d’affectionner le séjour des chambres hautes, et c’est sur les poutres du plafond qu’il promène, avec un bruit singulier sa langue énorme. Drôle d’habit, étranges manières !
Non moins étranges sont celles du facétieux Tinjokoudari (fig. IX), qui profite des moindres crevasses des plafonds, produites par les agissements du camarade précédent, pour pénétrer dans les intérieurs, à grand fracas.
Les bras tordus, les yeux convulsés, la langue pendante, une épaisse et lourde crinière encadre son visage grimaçant. Il ne fait que paraître et disparaître sans laisser de traces, et semble n’avoir d’autre but que d’effrayer les gens ; à moins qu’il n’ait celui de les induire en dépense, en incitant les locataires à demander des réparations à leurs propriétaires.
Nous savons cependant quelque chose de plus sur son compte. On le dit proche parent du démon Ibarakidozi qui eut le bras tranché d’un furieux coup de sabre dans un combat qu’il soutint jadis contre un fameux guerrier.
Il s’était présenté sous les traits de la belle-mère de son adversaire, on ne sait à quel propos. Son stratagème éventé, toutes les issues étant fermées, il réussit pourtant à s’enfuir par le plafond, et c’est le chemin que prend, à l’exemple de son ancêtre, le facétieux Tinjokoudari.
Un mot seulement sur Amikiri (fig. X) gros serpent squameux, à tête d’oiseau, avec un bec crochu et deux fortes pinces au bout des bras.
Serviteur des moustiques, son rôle dans la vie se borne à pratiquer la nuit des ouvertures dans la gaze des moustiquaires, pour livrer passage à ces ennemis du repos des hommes.
(A suivre)
Félix Régamey.
NOTES ET COMMENTAIRES
- Kado : Kanbari nyūdō (加牟波理入道). Kado n’est sans doute que la contraction de Kanbari nyūdō, la langue japonaise raffolant des mots-valises.
- Hototoguis : Hototogisu (ホトトギス), Petit Coucou en français ou Cuculus poliocephalus de son nom scientifique.
- « Kambari mondo hototoguis » : Ganbari/Kanbari nyūdō hototogisu (がんばりにゅうどうホトトギス)
- Stercutius : (Sterquilinus, Stercutus, Sterculius) dieu romain des excréments, du fumier et des toilettes.
- Anakanamé : Akaname (垢嘗)
- Tenjo-Hamé : Tenjōname (天井嘗)
Tinjokoudari : Tenjōkudari (天井下り ou 天井下)
- Ibarakidozi : Ibaraki-dōji (茨木童子 ou 茨城童子)
- Amikiri : (網切 ou 網剪)
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