J’étais tranquillement installé à la table d’un café sur les bords du Rhône, table stratégiquement choisie pour son exposition plein soleil (j’ai passé douze ans à Montpellier sans être foutu de savoir distinguer le nord du sud, alors ne me demandez pas d’être plus précis après quatre mois à Lyon), en train de boire un —surprise— café, quand je tombai sur cette note de bas de page du Japon pré-moderne (1573 | 1867) de Ninomiya Hiroyuki (二宮 宏之) : « Le shôgun est donc dit taikun et l’empereur, le tennô, est alors désigné par le mot mikado« .
Ça alors ! que je me dis, c’est donc sûrement de là que vient le nom du jeu si célèbre et si déclencheur de fou-rires, dans une tentative de me trouver intelligent en dépit de mon incapacité à retenir une seule information de l’enchaînement de noms de seigneurs et de fiefs, de dates et de revenus convertis en quantité de riz (koku [石]) qu’un tel ouvrage académique de civilisation ne manque pas d’offrir. Et justement, à découvrir cette succession sans répit de prises de pouvoir par divers partis à la suite de ruses et de coups de force, j’avais été amené à penser que le jeu du Mikado représentait symboliquement le fait de mettre de son côté, ou de vaincre, les divers seigneurs en place un à un et en toute discrétion, sans inquiéter les autres (ce qui vous ferait courir le risque qu’on s’aperçoive de vos ambitions et qu’on trouve un moyen de vous écarter plus ou moins brutalement de ce jeu de pouvoir), c’est-à-dire sans les pousser à bouger, jusqu’à enfin obtenir la plus puissante des positions, celle de mikado. Le Mikado étant, dans le jeu, le bâtonnet octroyant le plus de points au joueur qui le possède.
Le terme mikado, qu’on pouvait utiliser pour évoquer le tennô, l’empereur donc, et qui servait originairement à désigner le palais impérial, a été employé selon différentes sources de l’internet (qui reprennent toutes mot à mot les mêmes phrases et sans source donc je m’en méfie) au cours des époques Heian et Edo. À l’époque Heian (794 – 1185) et à l’époque Edo (1603 – 1868), ou de l’époque Heian à l’époque Edo ? Je n’en sais rien et, pour tout vous dire, ça ne fait pas une grande différence concernant l’origine du jeu du Mikado, car (toujours selon l’internet sans source) des descriptions du jeu existeraient déjà dans des textes bouddhiques du Ve siècle avant l’an 0 de notre calendrier grégorien. Le Mikado n’est donc pas un jeu d’origine japonaise symbolisant les luttes de pouvoirs de ce pays. Ma fulgurante déduction s’en trouva donc vaporisée, me laissant nu au milieu des références historiques qui me passaient au dessus de la tête comme autant de vautours affamés de ridicule se payant copieusement ma tronche. Hein ? Non, effectivement, je ne suis pas plus doué pour le lyrisme que pour retenir une simple suite chronologique d’évènements. Ô, à quel point je m’étais planté. Le nom du jeu tel qu’on le connaît aujourd’hui en France lui vient même de la marque d’un fabriquant de jeux, alors qu’on le connaît sous l’appellation pick-up sticks, jackstraws et spillikins dans les régions anglophones, et de jonchets, ou onchets, dans la France du XIXe siècle.
Bon, ben, je préférais mon explication. Et quoi qu’on en dise, que ce soit pour jouer au Mikado ou pour devenir mikado à la place du mikado, faut pas avoir la tremblotte.
« Akechi venait d’échouer. Du moins s’était-il acquitté de son rôle de protecteur envers Sanae. M. Iwase, qui lui était infiniment reconnaissant d’avoir sauvé sa fille, ne s’attarda pas à commenter ses compétences. Mais c’était une piètre consolation pour le détective, d’autant plus vexé qu’il s’était fait rouler par une femme. Et bien plus, quand il apprit de la bouche même de ses hommes que son adversaire s’était enfui après s’être travesti. »
Amis et -mies de la littérature japonaise, bonjour. Ce charmant paragraphe était un extrait du Lézard noir d’Edogawa Ranpo, publié pour la première fois en 1929 dans sa version originale, ici dans une traduction de Rose-Marie Makino-Fayolle aux éditions Philippe Picquier de 1993.
Oh, que je me dis, en lisant ça. Est-ce l’auteur ? Est-ce le personnage ? Comme je n’ai pas fini de lire, à ce stade, je réserve mon jugement. Même si quelques chapitres plus tôt, le paragraphe « A première vue, à les voir ainsi marcher ensemble, on aurait pu dire qu’elles se ressemblaient. C’est à croire que les belles femmes n’ont pas d’âge car Mme Midorikawa, qui avait dépassé trente ans, semblait aussi fraîche et innocente qu’une jeune fille », m’avait également chatouillé. Eh, c’est que je suis sur twitter, je ne pouvais pas lire ça sans penser à la polémique suscitée récemment par les propos d’un certain homme médiatique Français recueillis par un magazine classé « presse féminine ». Laquelle polémique me fit penser à moi-même au cours d’une soirée entre amies et -mis, qui, me rendant compte que mes deux amies les plus proches sortaient avec des hommes de (à la louche) dix et quinze ans de plus qu’elles et que mon père avait vingt ans de plus que ma mère, disait en plaisantant que, jaloux, moi aussi je voulais une copine plus jeune que moi ! J’étais célibataire à l’époque. Je dis donc « en plaisantant », mais quand même. Y avait un fond de quelque chose caché quelque part, dans un coin sombre. Je suis conditionné comme toutes et tous par mon milieu (au sens large) à réagir d’une certaine façon à certains stimuli, même si j’essaie chaque jour de m’affranchir un peu plus de ce conditionnement par la pensée et par les actes. Je suis d’avis qu’on ne s’en sort jamais vraiment, du petit numéro de cirque pour lequel on a été dressé·e, mais que ce n’est pas une raison pour ne pas lutter contre. Bon. Où j’en étais ? Ah oui. Edogawa Ranpo et les hommes d’autant plus vexés que c’est une femme qui les roule, et une femme belle qui bien qu’elle ait trente ans passés semble fraîche et innocente comme un jeune fille.
En lisant quelques éléments biographiques concernant l’auteur, Hirai Tarō (oui, Edogawa Ranpo c’est un pseudonyme, vous avez trouvé tout·e seul·e à quoi ça faisait référence ? Non ? Cherchez plus longtemps alors.), je découvre qu’il se lance après la seconde guerre mondiale dans une sorte de compétition avec l’un de ses amis anthropologue, Iwata Jun’ichi. En quoi consiste leur compétition ? Voir qui trouverait le plus de livres contenant des passages sur l’attirance sexuelle entre hommes. Car Iwata étudie l’homosexualité dans l’histoire du Japon. Je pense : mais quand même, si Hirai étudie l’homosexualité lui aussi, c’est qu’il doit forcément être moins plein de préjugés sur le genre que ce que ces quelques (c’est joli « que ce que ces quelques », non ? Ah bon.) phrases citées plus haut ne le laissent présager. Je cherche donc du côté des études menées par Iwata et… eh ben non, en fait. Pas forcément.
Attention, je ne dis pas que j’ai cerné le bonhomme, je dis juste que lorsque je lis que le wakashudō (la voie des jeunes hommes), qu’étudiait Iwata, consistait à encourager les relations amoureuses et sexuelles entre vieux hommes et jeunes garçons au sein de la classe des guerriers car (je cite wikipédia) « on la considérait [la pratique] comme bénéfique pour le garçon, en ce qu’elle lui enseignait vertu, honnêteté et sens du beau » et que « lui était opposé l’amour pour les femmes, accusé de féminiser les hommes », je me dis qu’on ne nage pas forcément dans la compréhension et l’acceptation des préférences de chacun·e, ni dans l’idéal d’égalité des sexes et des genres. J’ai été naïf. (Au passage, si vous voulez en savoir plus sur la wakashudō et que vous lisez l’anglais, je vous conseille de lire cet article qui est assez bref mais a le bénéfice de contenir pas mal de citations et tire un parallèle avec les pratiques pédérastiques de la Grèce antique, bien qu’il ne dise presque rien sur la place des femmes dans cette doctrine.) Si j’ajoute à ça qu’Hirai publie bon nombre de ses nouvelles dans des magazines destinés aux jeunes garçons et que ses personnages les plus connus (Kogorō —de son prénom Akechi, ouais le rageux, c’est ça— et Kobayashi) sont apparemment souvent décrits comme leaders du Shōnen tantei dan (club des (jeunes) garçons détectives), je me dis que ça ne m’étonnerait finalement pas que les femmes, il les écrive comme veulent les lire les petits garçons Japonais de son temps. C’est-à-dire insolentes et causes de frustration si elles osent se montrer supérieures à un mec dans un quelconque domaine, objets de désir mais aussi dangereuses qu’elles sont attirantes et sexuellement actives, et méchantes manipulatrices (et ce n’est ni Le Lézard Noir ni La Proie et l’ombre (du même auteur) qui me feront penser le contraire.
Bon, mais tout ça, c’est l’ancien temps, hein ? 1929 pour Hirai alias Edogawa, le deuxième millénaire pour le wakashudō. Sûr qu’aujourd’hui, les femmes sont bien mieux considérées au japon, qu’on leur attribue sans préjugé la même valeur et la même place dans la société qu’aux hommes. Hein ? Ben non patate. Tu te doutes bien. L’Université de médecine de Tokyo est accusée d’avoir diminué les notes de femmes s’étant présentées au concours d’entrée, et c’est très récent. Je traduis vite fait quelques passages de la version anglaise du journal Mainichi : « les personnes chargées de la dernière enquête ont trouvé que 66 femmes et 43 hommes avaient été recalés malgré des notes assez hautes pour être accepté aux concours sur une période de quatre ans s’achevant en 2016. Si l’on décompose année par année, 27 hommes et 15 femmes ont été recalés en 2013, 7 hommes et 17 femmes en 2014, 4 hommes et 18 femmes en 2015, et 5 hommes et 16 femmes en 2016. (…) Selon le rapport, l’ajustement des notes au concours d’entrée en fonction du sexe des candidats et d’autres critères aurait commencé en 2006 sous l’ex-président de l’université Hiroshi Ito, qui nie ces accusations. Et en ce qui concerne la raison de cette manipulation des notes, toujours selon le rapport, les personnes chargées de l’enquête ont trouvé que trois des précédents présidents, ainsi que d’autres responsables hauts placés de l’université, pensaient que le ratio des candidates femmes devait être diminué autant que possible parce que « les femmes ont tendance à démissionner de leur poste à cause du mariage et des grossesses. » » On ajoutera pour clôturer le tout : « « Les médecins doivent être forts physiquement pour supporter des horaires de travail éprouvants », rapporte à The Asahi Shimbun une étudiante paraphrasant l’un de ses instructeurs, » rapporte le Courrier International.
Est-ce qu’on parle aussi du numéro du magazine Shukan Spa! (classé « presse masculine ») sorti il y a deux semaines au Japon et qui propose un classement des universités en fonction de la facilité qu’on y a à se taper des étudiantes ? Non, vous avez raison, pas tout d’un coup. Ce serait de la gourmandise.
Allez, sur cet article bien bâclé, je me barre. Je comptais faire plus complet, mais en fait j’ai la flemme. Je rappelle aux rageux et -geuses que je ne suis ni journaliste, ni universitaire et que je traite comme je veux des sujets que je veux, et que je ne me relis pas forcément. Pouvez quand même me chier dessus dans les commentaires si ça vous fait du bien, c’est fait pour ça. Allez, à demain.
Je vous la fais version courte. Les Aïnous chantaient que le Dieu Hibou chantait qu’un jour, alors qu’il survolait le village des humains, il vit un groupe d’enfants sur la plage. Tous avaient des arcs et des flèches d’or. Ils étaient les enfants de familles qui autrefois étaient pauvres et maintenant devenues riches. Tous ? Non, l’un de ces enfants au contraire n’avait qu’un arc tout pourri et des flèches de même qualité. Car il venait d’une famille qui avait été riche et était tombée dans la pauvreté. Comment savait-il tout cela rien qu’en les survolant ? C’est le privilège des Dieux Hiboux, pouvez pas comprendre, vu que vous n’êtes ni dieux ni hiboux.
Quand ils le virent, les enfants se mirent à courir sous lui et à crier : « Le bel oiseau ! L’Oiseau Sacré ! Qui tire sur cet oiseau et arrive à l’avoir en premier est un vrai guerrier ! Un vrai champion ! » Car c’étaient de vrais petits merdeux. Alors les enfants des familles qui étaient autrefois pauvres et désormais riches tirèrent sur le Dieu Hibou qui, évidemment, évita aisément les flèches. Celui qui n’avait qu’un arc et des flèches toutes pourries le visa également, mais les autres se moquèrent de lui : « Eh, regardez le bouseux ! Il pense l’avoir alors que nous on l’a même pas eu avec nos flèches en or, ouuuh, gros pauvre va ! » et ils le piétinèrent et lui filèrent des coups de poing. Mais lui ne faisait même pas attention à eux et il tira, et le Dieu Hibou avait eu tellement de peine pour lui qu’il attrapa la flèche avec sa main, sa main de Dieu Hibou plus dieu que hibou là pour le coup, et il se laissa tomber.
Tous les enfants se ruèrent vers l’oiseau, l’enfant pauvre le premier, et tous l’insultèrent une bonne vingtaine ou trentaine de fois (c’est le Dieu Hibou qui le dit, c’est sa chanson, j’invente rien) : « Eh petit merdeux, c’est pas juste, c’est nous qu’on l’avait visé en premier, sale clochard ! Casse-toi ! » Et ils le tabassèrent bien correct comme il faut. Après un long moment, le pauvre petit réussit tout de même à s’enfuir en tenant l’oiseau fort contre lui, et, ne faisant pas attention aux autres qui l’insultaient toujours, il fonça chez lui.
Quand les parents du petit, qui étaient des vieillards, virent l’oiseau sacré ramené chez eux, ils le saluèrent en se pliant en deux, et se mirent à pleurer et à le vénérer. Ils avaient bien honte de l’accueillir dans leur vieille baraque toute moisie, mais comme la nuit était tombée, ils le gardèrent tout de même en lui promettant une offrande et en lui dépliant une belle couverture brodée pour la nuit. Dès que tout le monde se mit à ronfler, le dieu hibou se leva sur la pointe des pattes et en quelques battements d’ailes magiques couvrit le sol et les murs de trésors et de tissus précieux, et de meubles et de bien d’autres merveilles, et comme la vieille cabane vermoulue n’était pas assez grande, il en profita pour la transformer en immense manoir de métal, qu’il remplit d’autant plus de trésors. À côté du Dieu Hibou, Valérie Damidot pouvait allait se rhabiller.
Au lever du jour, la petite famille n’en crut pas ses yeux. Ils pleurèrent à nouveaux quelques bons litres de bonnes larmes et remercièrent l’oiseau encore et encore, et le vieillard coupa un arbre pour lui fabriquer un Inaos dont il le décora, et la vieille femme alla ramasser du petit bois et recueillir de l’eau pour faire du vin. Du vin de chez eux, qui n’était pas le vin de chez nous, puisque le Dieu Hibou nous raconte qu’en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, il y avait six bassines pleines de vin devant le foyer de la cheminée. Ensuite, le Dieu Hibou avec la Déesse du Feu et la Déesse des Personnes Âgées (oui), racontèrent diverses histoires de dieux en se sifflant le pinard avec le reste de la famille.
Après deux jours de beuverie, la vieille mère envoya son fils, qu’elle avait exprès sapé dans de vieilles loques, inviter à venir chez eux tous les gens qui avaient autrefois été pauvres mais étaient maintenant riches. Le Dieu Hibou regarda l’enfant entrer dans chaque maison et délivrer l’invitation, et vit que tous les gens qui avaient été pauvres et qui maintenant étaient riches riaient de lui. « Allons, allons, disaient-ils, quel genre de vin peuvent bien avoir fait ces sales pauvres qui puent et à quel genre de fête ringarde pourraient-ils bien nous inviter ? Allons-y donc pour nous foutre de leur gueule ! » Et donc une foule de personnes se mit en marche.
Certains, de voir seulement de loin l’immense maison furent si surpris et honteux qu’ils rentrèrent illico presto chez eux, la queue entre les jambes. Les autres avancèrent jusqu’à l’entrée de la maison seulement pour rester plantés là, paralysés, sous le choc.
Voyant cela, la vieille femme sortit et, les prenant par la main, les conduisit à l’intérieur de la maison. Tout le monde entra, lentement, plus que discrètement, et s’assit, et pas un d’entre tous ne fut capable de relever la tête. Le vieil homme prit alors la parole : « Comme nous étions pauvres, nous ne pouvions pas nous mêler à tout le monde, sans discrimination, mais le Dieu Hibou qui surveillait le village, a pris pitié de nous et nous a béni de cette façon, car nous n’avions jamais rien fait de mal. Alors, je voudrais demander à ce qu’à partir d’aujourd’hui, tous les habitants de ce village s’unissent et fassent en sorte de s’entendre les uns avec les autres. » Une fois qu’il eut dit ces mots, les villageois s’excusèrent tous auprès de lui et promirent tous très fermement de s’entendre les uns avec les autres dorénavant. Ce qu’ils firent, pour le plus grand bonheur du Dieu Hibou qui continue depuis lors de veiller sur le village des humains et de constater chaque jour qu’ils s’entendent bien les uns avec les autres.
Je vous laisse vous-même dégager une morale de cette histoire. Moi je saurais pas dire.
Je suis inquiet. Pourquoi donc, me demanderez-vous, en cette période faste, et d’harmonie sociale, et de paix mondiale, et de stabilité climatique, et de démocraties florissantes ? Je vois que vous n’avez pas perdu votre humour. C’est bien, nous en aurons sans doute besoin dans les années qui viennent. Bon. Je suis inquiet car je me demande si l’histoire n’est qu’un éternel recommencement. Le cycle des guerres et des armistices est-il donc impossible à arrêter ? Y aura-t-il un décembre 2018 cinquante ans après mai 68 ? Y avait-il un Elon Musk en Atlantide qui avait déjà commercialisé avec succès des voitures électriques et envisagé le voyage sur Mars ? Les Atlantes colportaient-ils-et-elles eux-et-elles-mêmes les rumeurs d’une île engloutie à la technologie hautement avancée alors que tout le monde savait bien que c’était des conneries ? Euheum. Excusez-moi, je me perds en digressions absurdes, mais c’est tellement tentant avec des questions aussi ouvertes et banales que celle-ci. Allez, une petite dernière : combien de fois au cours de l’Histoire a-t-on déclaré que ou s’est-on demandé si l’Histoire n’était qu’un éternel recommencement ? Je ne le sais pas plus que vous. Je peux simplement vous indiquer, et plutôt maladroitement, les quelques éléments qui ont fortuitement contribué à mon inquiétude à ce sujet aujourd’hui.
J’étais tranquillement en train de bouquiner sur un banc de l’université cet après-midi (non, je n’ai pas repris mes études, je suis auditeur libre, mais j’y reviendrai sans doute un autre jour), quand je m’avisai qu’un ou plusieurs hélicoptères nous survolaient. Je me demandai si c’était la Carte au Trésor qui tournait un épisode à Lyon, mais, sans personne de mieux informé alentour, je poursuivis ma lecture sans me poser plus de questions :
« L’histoire offre peu de spectacles aussi poignants que ce retour de violence qui déchira le tissu de la paix impériale. Destin des civilisations tranquilles : elles s’enrichissent de leurs travaux, s’amollissent dans le confort — et deviennent la proie d’envahisseurs étrangers. Les Japonais, du XIIe au XVIIe siècle, surent fort bien s’envahir eux-mêmes et se massacrer insulairement. La violence, longtemps endormie, se réveilla comme une fièvre contagieuse. Dans les provinces, les clans s’armaient. Des brigands venaient hanter les abords de Heian. Les monastères bouddhiques eux-mêmes se constituaient des milices, et d’un temple à l’autre les querelles donnaient lieu maintenant à des batailles rangées. Les moines, rassemblés jadis au sommet du mont Hiei pour protéger de leurs prières la capitale, portaient le tumulte dans ses rues et brandissaient en processions menaçantes des hallebardes et des images saintes. (…)
Ceux qui restaient isolés étaient perdus, il fallait entrer dans la mouvance d’un clan majeur, et renforcer les plus forts pour mériter leur protection. Des coalitions se formèrent, de plus en plus vastes, et ce mouvement d’agrégation fit apparaître, au XIIe siècle, deux ensemble rivaux, de puissance à peu près égale, l’un dirigé par la maison de Taira, nommée aussi Heike — l’autre par celle des Minamoto, ou Genji. Tout se divisait et se polarisait, il fallait être soit blanc, soit noir, comme dans la Florence de Dante. Ce partage, qui sillonnait toute l’épaisseur de la société japonaise, depuis les plus lointaines rizières jusqu’à la cour, rendait la lutte à mort inévitable. (…)
Les fujiwara se flataient d’être les spectateurs d’une guerre d’usure, ils attendaient l’annihilation de la violence par la violence — illusion toujours déçue des neutres. La cour n’avait plus le pouvoir d’arbitrer le conflit, elle n’avait même plus les moyens de défendre sa neutralité. Le jeu des forces rivales la traversa, la ballotta, la déchira. (…)
Les mœurs avaient changé : l’exil ne suffisait plus, ni le cloître. La peine de mort, l’attentat, le suicide étaient de nouveau la sanction dernière des conflits de pouvoir. On n’hésitait plus à faire mourir un moine convaincu de conspiration, à brûler des temples pour l’exemple. Un prisonnier de guerre, on le décapitait. On s’exerçait sur lui au maniement des armes, on vérifiait sur sa chair le tranchant d’une lame. Le droit de survivre à la défaite n’était pas reconnu. Pas de quartier pour celui qui n’avait pas su vaincre, qui vaincu n’avait pas su fuir, qui ne pouvant fuir n’avait pas su se tuer. »
Maurice Pinguet, La mort volontaire au Japon, Éd. Gallimard, 2012.
C’est à peu près à cet endroit du bouquin que je fus tiré de ma lecture par des clameurs venant de l’extérieur. C’était à n’en pas douter les voix mêlées et grognantes d’un bon groupe de manifestants bien de chez nous. Au même moment des hommes de la sécurité passèrent juste devant moi, courant je ne sais où, une entrée sans doute, et gueulant dans leur talkie-walkie : « PUTAIN ! PUTAIN ! FERME !! FERMEEE !!! » Pendant ce temps, les hélicoptères ne cessaient pas de tournoyer là-haut dans le ciel mi-gris, mi-bleu, ça dépendait des moments. Évidemment, je me doutais bien que ce n’était pas grand chose —et ça n’était réellement pas grand chose— aussi je me replongeai dans mon livre, mais bon, vu l’ambiance dans le monde et dans le pays, ma lecture ne sonnait pas exactement de la même manière que si j’avais été vautré sur l’herbe d’un parc entouré d’enfants s’amusant pendant les trente glorieuses. J’eus quelques pistes possibles sur les raisons de cette effervescence juste avant de rentrer dans l’amphi, par les conversations captées vite-fait entre certaines étudiantes : « manifestations… lycéens… écoles… casseurs…. fermetures… contrôles… moi j’aime pas les carottes, sauf crues… moi c’est les épinards… » Rien de bien original quoi. N’empêche qu’hier, même si comme je vous le disais en ce moment je ne suis pas l’actualité, j’avais également eu vent de certains évènement qui m’invitaient à penser que les choses risquaient de devenir un peu plus sérieuses qu’elles ne l’avaient été au cours de ces dix dernières années en matière de conflits sociaux.
En cours, nous avons enchaîné sur l’histoire de Tokyo, de la fin du shogunat à nos jours, et il me fut fort navrant (je sais pas pourquoi j’emploie ce registre, alors posez pas la question) de voir dans un même pays une jeunesse nourrie au nationalisme puis quelques années plus tard une autre au pacifisme et comme les deux recettes avaient été aussi aisées l’une que l’autre à composer par le gouvernement et à accepter par le peuple. La différence étant que l’une avait produit une nation prodigieuse économiquement parlant, tandis que l’autre avait conduit à, choisissons au hasard parmi ses prouesses, 20 millions de morts en Chine et Pearl Harbor. Les images de la montée du nationalisme m’évoquaient évidemment aussi tous les discours qu’on peut entendre à nouveau murmurés de-ci de-là en Europe et aux États-Unis ces derniers temps. Ah, mais le plus rageant et inquiétant à la fois, c’était de voir comme l’être humain se satisfait de décennies de massacres de masse aussi bien que de longs siècles de raffinement toujours plus poussé dans les interactions sociales et dans les arts, ou bien de la recherche perpétuelle de justice comme de l’arbitraire le plus éhonté. Si seulement au Japon on avait sauté l’étape sanguinaire pour passer directement au premier pays dont la constitution interdit à jamais à son peuple de se munir d’une armée (à jamais, c’est ce qui est écrit, aujourd’hui il y a tout de même des débats à propos de…), ça aurait été… euh… ben, vachement plus sympa. Après la guerre, d’une génération à l’autre, les jeunes n’ont même pas bronché quand leurs professeurs ont changé de méthodes pédagogiques et de morale, ils ont mangé la bonne purée d’idéal de paix mondiale qu’on leur donnait et, surprise, ils n’ont pas été malades ! Même, je crois que ça leur a donné le goût de. C’est dommage qu’on n’ait pas commencé par ça tout de suite, parce que pour ceux qui y ont goûté jeune le gout du sang à l’air difficile à oublier.
Nous avons également revu brièvement quelques images du mai 68 japonais que nous avions déjà étudié auparavant un peu plus en détail. Les images nous sont familières. On dirait la France, à voir l’équivalent des C.R.S. Japonais déloger à coups de canons à eau les étudiants en colère de leur université occupée depuis un an. Sauf que ! si chez nous l’histoire nous apprend que les étudiants gauchistes (et ce n’est pas un sale mot dans ma bouche) qui naguère rêvaient d’un monde plus humain et s’unissaient aux travailleurs (rêvant, eux, d’un travail moins con, moins dur et surtout plus justement rémunéré et organisé) pour caillasser la flicaille à la solde du pouvoir en place sont devenus les fervents défenseurs du libéralisme antisocial d’aujourd’hui, au Japon elle nous a montré que les mouvements de gauche peuvent, aussi bien qu’une droite conservatrice, produire de bons assassins, comme ceux de l’Armée Rouge Japonaise ; ces gens qui n’hésitaient pas à détourner des avions, tirer dans la masse pour faire entendre leurs idées, et qui finissaient même par s’éliminer entre eux, par paranoïa ou pour d’infimes divergences entre les doctrines de leurs différentes factions.
Pour être tout à fait honnête, peut-être que ce qui m’a également rendu un poil nerveux, c’est de m’être enfilé quatre cafés en deux heures, alors que d’habitude je n’en bois pas, le tout en compilant les horreurs de l’humanité sur ce petit bout de terre entouré des eaux. Mais bon, même sans café, temps de paix et temps de guerre semblent tout de même inlassablement se succéder jusqu’à aujourd’hui.
Alors, l’Histoire, un éternel recommencement ? Ai-je raison de m’inquiéter un peu, moi qui n’ai jamais été porté au déclinisme ou à l’apocalyptisme (doit y avoir un vrai terme pour ça, mais là je l’ai pas) ? Les humains sont-ils condamnés à s’entretuer, se sacrifier, à intervalles réguliers pour des conflits d’idéaux dont les enjeux seront incompréhensibles ou simplement jugés ridicules à leurs propres yeux dix, vingt, cinquante, cent ans plus tard ? J’ose espérer que non. D’ailleurs, pour ne pas laisser croire que Monsieur Pinguet se montre injuste envers l’humanité dans son bouquin, je terminerai cette note par un autre extrait :
« S’il existait une nature humaine, nous pourrions nous contenter d’en demander raison aux sciences de l’homme. Psychologie et sociologie nous livreraient une essence peut-être variée et complexe mais immuable du suicide — comme de la famille, de l’art, du châtiment, du travail, de la folie, du pouvoir, ou de toute structure cardinale de l’être homme. Ce serait le cas si l’homme était séparable du temps — vieux rêve que l’idéalisme métaphysique poursuivit et que la science voulut reprendre. Mais comment fixer, au nom de la loi divine, au nom des lois de la nature, des limites que l’homme ne voudrait pas dépasser ? Nous pouvons décrire et comprendre, mais définir et déterminer, non. À la question : qu’est-ce que l’homme ? — nous ne pouvons que répondre : demandez-le à son histoire, car l’homme est à lui-même une énigme éparse dans le temps. Il n’est que la somme dispersée de ses possibilités, de tout ce dont il se rendit, se rend et se rendra capable. Ce qu’il est n’est que ce qu’il peut être, et ce qu’il peut être c’est à la réalité historique future ou déjà accomplie de nous le dire — en le recueil de sa mémoire, en la fermeté de sa décision et de son espoir. L’unité de l’homme n’est pas menacée par la liberté qu’il prend de s’inventer puisque toute pratique inscrite dans l’histoire se laisse comprendre et se révèle, à l’examen, dotée de sa logique propre, peu à peu intelligible à travers, nous dit Nietzsche, « tout le long texte hiéroglyphique, laborieux à déchiffrer, du passé de la morale humaine ». »
Non, ne vous inquiétez pas. Ce n’est pas un problème d’affichage. Le titre. C’est simplement Montpellier écrit en japonais. Pourquoi que je l’ai écrit en japonais ? Parce que demain, enfin aujourd’hui, je ne pourrai-peux pas écrire d’article, faute de temps. Ce n’est pas pourrai-peux, la faute de temps. Je voulais simplement dire que je ne disposerai pas d’assez de temps pour écrire l’article d’aujourd’hui, que j’ai donc rédigé hier. Hier pour vous, aujourd’hui pour moi. Je sens qu’on va pas s’en sortir. D’autant que c’est un mensonge. Il est 00h25, donc techniquement déjà mercredi 28 mars, c’est donc bien le billet d’aujourd’hui que je rédige aujourd’hui. Ouf. Un problème de réglé.
Pourquoi モンペリエ en katakana, donc, qui est l’un des deux systèmes d’alphabets syllabiques japonais ? Avec l’autre, les hiragana, ça aurait donné もんペリえ, mais ça n’aurait pas été correct. Les hiragana sont réservés à l’écriture des mots japonais. Pour les mots étrangers ou empruntés à d’autres langues on utilise les katakana. モンペリエ, donc. L’explication que j’en ai eue est qu’à l’époque où l’on traduisait en japonais les textes bouddhiques, les moines auraient trouvé que les caractères arrondis des hiragana se mariaient mal aux illustrations et autres aspects esthétiques de ces documents. Ils auraient donc créé cet alphabet syllabique alternatif aux traits plus droits. Je ne sais pas si c’est vrai. J’irai vérifier plus tard. Pour celles et ceux qui se demandent si on peut écrire Montpellier en kanji, c’est-à-dire avec les caractères chinois tels que ceux avec lesquels on écrit Japon en japonais, 日本 (ça se lit nihon), vous croyez vraiment qu’il y a des caractères chinois pour dire Montpellier ? Sans déconner, faites un effort, c’est assez compliqué comme ça.
Donc, aujourd’hui, je n’aurai pas le temps de rédiger ma note de blog le matin car je présente l’une des associations dans lesquelles je suis bénévole à quatre jeunes en service civique de neuf heures à midi. C’est pourquoi je la rédige dans la nuit. Je ne voulais pas chercher un sujet trois heures, parce que j’aimerai quand même me coucher avant que le soleil ne se lève et, ô comme le hasard a cette fois-ci fait les choses pas trop mal, il se trouve que je viens juste de corriger une partie du mémoire d’une amie qui cause des questions identitaires dans les écrits francophones d’auteurs·es non-Français·es. J’y ai découvert l’existence d’Akira Mizubayashi, 水林章 (水林: Mizubayashi, 章: Akira) en kanji, みずばやし あきら en hiragana, qui a vécu ses premières années d’exilé volontaire en France. Et où ça, en France, précisément, messieurs-dames ? Parce qu’il parle du « Bonjour messieurs-dames », qu’il ne se sent pas être en position de dire en entrant dans une boulangerie en tant que non natif. À Montpellier ! Et il a même étudié à l’Université Paul-Valéry, comme moi ! Voilà voilà. Et comme en ce moment j’étudie le japonais et j’essaie de trouver tous les liens trouvables entre cette langue et moi pour m’en faciliter l’accès et baigner dans la culture du pays où on la parle le plus, nul doute que je vais acheter ses bouquins dans les semaines qui viennent. En vérité, j’ai pas grand chose à vous en dire, puisque je n’ai lu son nom qu’aujourd’hui pour la première fois, et puis je ne vais pas recopier des passages d’un mémoire qui n’a pas encore été soutenu, ça ne se fait pas. Mais je vous en reparlerai certainement très bientôt.
Ce soir, que pouvez-vous faire à モンペリエ, justement ?
À 19h30, au Barricade, 14 rue Aristide Ollivier : projection du film Stalker de Andreï Tarkovski, dans le cadre du cycle sur le cinéma soviétique, suivie d’un débat. Adhésion à l’association 2€ pour l’année, puis entrée à prix libre ou gratuite, et consommations non-obligatoires très peu chères.
ou
À 20h, au Centre Rabelais, sur l’esplanade Charles de Gaulle, dans le cadre de l’Agora des Savoirs, conférence Cocktail toxique. Comment les perturbateurs endocriniens empoisonnent notre cerveau ? par Barbara Demeneix. C’est gratos, mais vaut mieux arriver un peu à l’avance si on veut être sûr·e d’avoir des places.
ou
Débrouillez-vous, vous êtes grand·e, vous trouverez bien de quoi occuper votre soirée.