Je cherche quoi vous raconter de beau. Je me dis tiens, que s’est-il passé à Montpellier il y a mille ans ? Que s’est-il passé à Montpellier il y a deux mille ans ? Pas à peu près. En quelque chose mille dix-huit. Le genre de trucs qu’on se demande quand on n’a rien à dire et un blog à remplir quotidiennement. Je n’ai tout de même pas le vice d’espérer trouver une information concernant 31 mai 18 exactement. Je me documente, donc. Évidemment je ne trouve rien. Rien de bien précis. Rappelons que la ville n’a été fondée qu’en 985. Apparemment la Via Domitia romaine traversait ce qui deviendrait Montpellier dès 118 avant Jesus-Christophe. Ah, vous ne le saviez pas ? Christ est le diminutif de Christophe en hébreu ancien, et moi je n’ose pas appeler un dieu par son diminutif.
En parlant d’hébreu, on nous dit sur Wikipédia que le 6 avril 1018, un « dimanche de Pâques : l’ancienne coutume de frapper un Juif dans l’église pendant la semaine sainte se termine tragiquement à Toulouse. Le Juif a le crâne brisé, qui laisse échapper sa cervelle (selon Adémar de Chabannes). »
On apprend du coup qu’il y avait des années où cela ne se passait pas tragiquement.
À Villanueva de Vera, jusqu’aux années 90, on battait un âne à mort, le plus vieux du village, toute une après-midi, à chaque mardi gras. Ensuite on a pris garde de ne plus le tuer. Ouf. Vous croyez que c’est un cas isolé ? Un article du Soir de 1991 est à glacer le sang à ce sujet. Juste un petit extrait :
« Il ne faut pas que l’on considère que notre présence ici vise seulement à empêcher que l’âne de Villanueva soit maltraité, précise Roland Gillet, sénateur honoraire, bien connu pour sa passion envers les animaux, et qui a tenu à apporter son soutien aux différentes SPA. Ceci doit servir d’exemple. Il existe en Espagne quelque 3.000 fêtes de ce type-là.
On ne compte plus en effet les oies décapitées, les poulets battus à mort, les chèvres vivantes jetées du haut d’un clocher, les vachettes transpercées de lances ou de fléchettes »
Ah la la, qu’est-ce qu’on en trouve de jolies histoires quand on se plonge dans l’Histoire ! Mérite bien son H majuscule, l’Histoire, tiens. C’est pas n’importe quoi. Vous avez lu Mangez-le si vous voulez ? Vous devriez.
Bon. On a bien digressé. Où j’en étais ? Montpellier ? Oh… On verra demain.
Avant-hier, je prévenais Gwlad que je n’avais plus de photo pour le blog. Vous ne connaissez pas Gwlad ? C’est la première fois que vous venez non ? Gwlad c’est l’une de nos deux photographes, avec Koinkoin. Voilà la réponse que je reçois hier à peu près vers midi :
« BON ALORS, je me suis prise la tête ce matin pendant 30 minutes avec les vigiles du Polygone pour une histoire de photos, alors la moisson sera petite, vu que j’ai dû supprimer mes photos. Résultat je vais pas non plus te donner celles que j’ai faites en dessous, tu sais en bas de Sauramps, l’espèce de passage où la plupart des boutiques sont fermées? Bon j’en ai fait plein là, mais je pense que ça dépend du polyg aussi, alors tant pis. 🙁 »
Le Polygone, pour ceux et celles qui ne le sauraient pas, c’est le centre commercial hideux en plein centre-ville de Montpellier. Pour les autres, peut-être avez vous entendu parler de ce lieu ces derniers mois. C’était à l’occasion de l’éjection du Flunch du bâtiment, z’en ont causé dans les journaux locaux. Oui, Flunch, c’est peut-être de la bouffe de qualité moyenne, mais c’est des repas toujours plus équilibrés qu’au MacMerdo et, surtout, pour 5€ on pouvait se farcir des assiettes de légumes à volonté. Qui allait au Flunch principalement ? Les militaires, okay, z’avaient une réduction. Et qui d’autre ? Les personnes sans abris, les couches sociales les plus pauvres du centre-ville, et les familles nombreuses. Les gens sans le sou, mais qui ne considèrent pas qu’ils doivent se laisser crever de faim pour autant. Pour un 5€ ils pouvaient manger à volonté de la purée, des poêlées de légumes, du riz en sauce, des haricots verts, des salades de pâtes, des pommes de terres sautées, de la ratatouille… Je dis pour 5€, c’était même 4€95. Et pourquoi qu’ils l’ont viré, selon vous, le Flunch, du Polygone ? Parce que ça dégradait leur image de marque. C’était annoncé tel quel dans la Gazette ou le Midi Libre, me souviens plus, mais je l’ai lu. Le Polygone, ce haut lieu de la consommation de masse, ne voulait plus de ces pauvres en son sein. Ils veulent désormais une image luxe. Vous pensez, les clodos dans leurs habits de récup, ou les familles nombreuses qui se font péter le bide entre Zara et les Galeries Lafayette, ça pourrait dégouter les braves gens de s’acheter des chemises à deux-cent boules. Hein, deux-cent boules seulement, les chemises ? Ben oui, on est au Polygone, pas sur l’avenue Foch. Faut pas déconner. Confondez pas consommateurs de centres commerciaux et vrais riches. Heureusement que le Polygone n’est pas sur l’avenue Foch, ils l’auraient viré pour dégradation de leur image de bourges.
Enfin. Je lis le mail de Gwlad et QUOI !!! que je m’écrie chez moi. On censure mes reporters ?! On embête mes amies ?!! Je veux en savoir plus, Gwlad me raconte :
« En fait, après avoir fait les photos au triangle, je me suis dit que pour compléter j’allais en faire quelques unes au polyg, mais genre sans boutique et sans personne, donc j’ai pris quelques photos des passages qu’il y a à certains endroits pour sortir, des escaliers, puis de l’escalator avec celui où il y a un côté condamné (un gamin s’est fait arraché le bras je crois il y a plusieurs mois) [ndr: c’est vrai]. Et là un premier vigile (qui était juste en face de moi, je me suis pas cachée en plus en faisant les photos avec mon téléphone) me dit que c’est interdit de le prendre en photo parce qu’il y a une enquête en cours. Très bien. Devant lui je vais pour supprimer les photos, et là, un autre vigile arrive, puis un gars en costume et mallette, puis un autre vigile. Et là ils voient les autres photos que j’ai faites dans le polygone. « Ah mais madame, vous n’avez pas le droit de prendre des enseignes en photo » le gars en costume, chaud comme la braise. « Ben vous voyez bien, j’ai pris aucune enseigne, personne, juste des passages », et là le premier vigile dit que c’est ok de prendre ces endroits là en photo, mais monsieur en costume n’est pas d’accord et veut que je supprime toutes mes photos. Le truc, c’est que j’ai pris ces photos dans une appli. J’ai déjà cherché plusieurs fois comment supprimer les photos et j’ai pas trouvé. En fait elles restent dans l’appli, et quand tu veux en faire autre chose tu les sauvegardes sur ton téléphone. Donc là j’en avais sauvegardée aucune sur mon téléphone, je montre au deuxième vigile qui a l’air de comprendre un peu mieux la technologie du 21ème siècle (même s’il a dit aux autres « oulala un samsung j’y connais rien, j’ai que des iphone »), comment on sauvegarde, que ça va dans la galerie, et que là dans la galerie de mon tél j’en ai aucune. Mais ça leur va pas que je les garde sous le coude dans l’appli.
« Et c’est pour faire quoi? » dit le gars en costume.
« Rien de plus, je fais des photos tout le temps, j’aime ça c’est tout. »
« Non parce que des photos du polygone il y en a plein sur le site officiel. »
« Ok ok de toutes façons j’ai compris, j’ai pas le droit de faire des photos dans le polygone, j’en ferai rien »
« Oui parce que vous savez ici c’est privé, en plus avec vigipirate…. »
Oui c’est bon, j’ai compris, là c’est un résumé mais ça avait déjà duré bien trop longtemps je commençais à bouillir, alors je leur ai dit:
« Regardez, je supprime l’appli, comme ça je perds tout, on est d’accord? »
Les vigiles ont dit ok, ça a l’air d’être bon comme ça oui (BEN OUI C BON J’AURAI PLUS RIEN) non mais sérieux. Mais le gars en costume voulait carrément que j’aille dans un bureau je sais pas où régler l’histoire, j’ai fait comme si j’entendais pas, genre « bon c’est bon hein, j’ai plus rien, au revoir ». »
Voilà. C’est à peu près aussi minable que ce à quoi je m’attendais de leur part.
Donc, aujourd’hui, pas de photo. Je fais grève. Allez remercier les mecs du Polygone et leur putain d’image de marque. Toujours l’image. Rien que l’image. Surtout, ne prenons rien en photo là-bas, afin que le jour où ce bâtiment s’écroule avec toutes ses boutiques de merde qui se la jouent luxe et font virer le seul restaurant abordable pour tous, rien n’en subsiste. Pas une image, pas un souvenir. Que ces enfoirés-là crèvent la gueule ouverte, j’irai même pas cracher dedans de peur d’étancher leur soif.
Longtemps j’ai voulu quitter Montpellier. Je ne m’y plaisais plus. Je n’y trouvais plus rien à faire. C’était la mauvaise période. Depuis combien d’années est-ce que j’y habite ? Depuis septembre 2005. Bientôt treize ans. Moins une année en Erasmus à Canterbury. Douze ans de Montpellier. C’est en revenant d’Angleterre que j’ai commencé à m’y sentir comme en cage. Je vivais mal. J’avais détruit un peu tous mes repères en bon iconoclaste que j’ai longtemps été, sans prendre le temps de m’en créer de nouveaux. Et puis quasiment tous mes amis étaient partis. Ce n’était pas vraiment une question de ville, en fait. C’était une question de ce que je faisais de ma vie et avec qui. Ayant pris conscience de ça, j’ai décidé que cet ici n’était sans doute pas pire qu’un autre, et qu’en plus il y faisait beau. J’ai appris à me renseigner un peu sur ma ville. Les rues, les bars et autres commerces, les évènements, les milieux créatifs. Je m’y suis fait. Des amis sont revenus. J’ai commencé à bosser en bénévole dans quelques associations, ça m’a aussi pas mal aidé à me sentir plus en prise avec ce qui se passait dans ma région du monde. J’ai développé mes hobbies d’une manière un peu plus structurée que par le passé, participer à quelques projets artistiques collectifs dans la ville m’y a également bien aidé. Enfin, j’ai décidé d’ouvrir un blog, en me disant que les jours de rien-à-dire, j’aurais toujours assez de choses à raconter sur la cité pour combler les vides. C’est ce que je fais.
Et si je devais en partir aujourd’hui ? En y réfléchissant bien, je ne crois pas que ça me chagrinerait beaucoup. Puisqu’on ne sait pas de quoi l’avenir est fait, je parlerai seulement de ce que je devrais abandonner si j’en partais. Eh ben, ma foi, je n’abandonnerais pas grand chose. Mes activités, je peux les exercer où je veux. Que ce soit la musique, l’écriture ou le dessin, je n’ai besoin de rien à part d’un bureau, un ordinateur, quelques feuilles et un pinceau. Pour les cours que je donne tous les quatre mois, c’est pareil. Ici ou ailleurs… la clientèle est inexistante. En ce qui concerne le milieu associatif, il y a partout des associations en manque de bénévoles. Les causes pour lesquelles s’impliquer ne manquent pas, nulle part. Vraiment, à part pour mes vingt cartons de livres et mon home studio, je suis très nomade-friendly : on peut me trimballer n’importe où, je trouverai toujours quelque chose à faire. Non, ce qui me manquerait le plus, si je devais partir, se serait les gens bien sûr. Ne plus voir les amis que par webcams interposées, c’est-à-dire jamais, puisque je n’aime pas ça les webcams, ce serait dur. Enfin, ce serait dur. Je pourrais toujours venir leur rendre visite le temps d’un week-end. Après tout, Lyon, ce n’est pas si loin de Montpellier.
Me voilà de retour après un dimanche de semi-repos. Ça fait du bien. On regretterait presque d’avoir une vie et des choses à faire. C’est que je n’ai pas l’habitude de me reposer le dimanche et de reprendre des activités le lundi. Certes, je me suis levé à midi, oui, et je n’irai travailler qu’à 16h30 pour terminer à 18h, mais tout de même ! Je sens bien que je suis sur une pente glissante. Il faut que je me surveille.
Je lis à l’instant que Pierre Bellemare est mort. Le monde de la télé s’attriste. Il y a de quoi paraît-il. Qu’aurait-on fait sans l’importateur du télé-achat en France ? Sans les petits faits d’hivers scabreux portés à l’écrit comme à l’écran, ainsi que les gros mensonges qui s’y mêlaient, par cette intemporelle moustache ? Ou sans sa participation à l’émission d’humour radio-télévisée qui chaque semaine transformait notre salon en comptoir de PMU, les Grosses Têtes ? Ah, les grosses têtes… Et bien, personnellement, je ne m’en serais pas plus mal porté. Pierre Bellemare meurt, il aurait tout aussi bien pu ne jamais exister. Je me rends compte que ce n’est pas très sympa d’ainsi cracher sur un défunt dont le corps n’est sans doute pas encore tout à fait froid. Trouvons vite un compliment. Ha ! J’ai. TF1 et M6 n’auraient jamais pu vendre autant de temps de cerveau humain disponible à Coca-Cola sans Pierre Bellemare. Merci Pierre.
En attendant, pas mal de Françaises et de Français sont dans la rue. Ils gueulent, elles grognent, on râle. Ça ne va pas s’arranger dans les mois qui viennent. Au ministère de l’Intérieur, on n’a pas le temps de chômer. Les fabricants de lacrymo se frottent les mains, pourvu que leurs usines ne se mettent pas en grève.
Je te retrouve enfin, oisiveté ! En ce dimanche grisouillant. Viens-là que je t’embrasse. Oui. Comme je l’avais dit : ce dimanche, je ne fais rien. Rien de rien. Enfin. Un peu de musique, et puis je rejoue à quelques vieux jeux vidéo. Mais en tout cas je ne rédige pas une note de blog. En plus, ne comptant pas sortir de chez moi aujourd’hui, je rate le dernier jour de l’expo de Willem. Je ne peux donc pas vous en parler. Vous voyez, vous n’avez rien à regretter. Allez, à demain.
Aujourd’hui, c’était censé être repos. Ça l’est pas vraiment. J’ai du sommeil en retard. Beaucoup. Je dois courir à gauche à droite, mais surtout à gauche, tous les jours. Passer d’une activité à l’autre, des choses sans aucun rapport. Ma vie sentimentale n’est plus un désert, je pense que ça me donne la force d’être aussi actif en ce moment. Mais ça ne me laisse pas plus de temps pour roupiller. Encore ce matin, réunion jusqu’à midi. Ce soir, bouclage du Numéro 0.30. Entre les deux, il faut que je consulte toutes les participations au magazine je n’ai pas eu le temps de le faire avant. Je ne fais que des choses que j’aime faire dans la vie. C’est une chance que peu de gens ont. Oui, mais là, je suis crevé. Je ferais bien une pause dans les choses que j’aime bien faire. Une journée. Une seule journée ne rien faire du tout. Dormir beaucoup.
Où je veux en venir ? Vous savez très bien où je veux en venir, vous me connaissez. Je vais mettre un beau ruban autour de ce gros paquet d’excuses, faire un petit nœud dessus, et je vais vous l’offrir avec un grand sourire en vous disant que ce sera tout pour moi aujourd’hui : je n’ai pas le temps de m’occuper du blog. Encore une fois je laisse Gwlad vous divertir à ma place avec la photo du jour.
Portez-vous donc bien, et à demain ! Demain j’aurais le temps, parce que demain je ne fais rien. À part le blog du coup et… Ah non, ça ne marche pas ça… En plus j’ai des e-mails à envoyer pour l’association et… pffff. À demain.
On avance de festival en festival. Hier je vous parlais d’Images Singulières à Sète, aujourd’hui s’ouvre la Comédie du Livre à Montpellier. Non, ne cherchez pas les stands sur la place de la Comédie, c’est sur l’esplanade, juste à côté, que ça se passe. Cette année les littératures néerlandaise et flamande sont à l’honneur. Et devinez quoi ? Je ne connais aucun·e des auteurs·autrices présents·es.
C’est pas vrai, j’en connais un. Willem, le dessinateur. Mais j’ai raté le vernissage de son exposition. Tant pis. Tant mieux pour lui. J’aurais pu passer la journée à lui poser des questions sur Hara-Kiri. Bon, il vit en France depuis 68, mais il est né au Pays-Bas. Donc ça compte comme littérature néerlandaise. Alors oui, raté pour le vernissage, mais l’expo reste accrochée jusqu’à dimanche tout de même, je vais donc aller me la farcir avec plaisir. C’est à la galerie En Traits Libres, 2 rue du Bayle.
Je me rends compte que la Comédie du Livre à toujours plus été un festival de la B.D. qu’un festival du livre au sens large pour moi. Évidemment, c’est tout le contraire. Les B.D. sont bien peu nombreuses au milieu des livres sans images, mais voilà, la première fois que j’y suis venu, je n’habitais pas encore à Montpellier, c’était pour me faire dédicacer le premier tome de Donjon par Lewis Trondheim, et depuis… J’étais bien gamin, mes parents m’avaient conduit là exprès. Une heure de route et une autre de queue pour une rencontre de cinq minutes avec mon idole d’alors. On m’avait dit que le monsieur pouvait paraître un peu sévère de derrière ses lunettes de soleil, mais il avait été très gentil. Je suis souvent retourné me faire gribouiller la page de garde par lui après ça. Une fois je l’ai attendu quatre heures. On ne s’est jamais dit grand chose. J’étais toujours très impressionné. Et puis une fois adulte j’ai arrêté de me faire dédicacer des trucs par qui que ce soit.
Un ami m’a raconté qu’une année il n’y avait pas grand monde, mais qu’il avait vu plus d’une centaine de personnes faire la queue devant le même stand. Elles attendaient leur dédicace de Pascal le grand frère. C’est aussi ça, la Comédie du Livre. Des centaines d’auteurs anonymes dont on n’ose pas se faire dédicacer le livre qu’on aurait acheté un peu au hasard, côte à côte avec un PPDA méga star dont tout le monde se fiche bien de ce qu’il a pu faire raconter par son nègre dans son dernier bouquin.
Allez, on y va. Cette fois-ci c’est la bonne. Attention, ça va être long.
Hier, donc, on était à Sète pour le festival Images Singulières. Dixième édition de ce festival international consacré cette année à la photo documentaire.
Partis à trois dans le camion aménagé de Maurice, mon colocataire, avec l’ami Feldo, nous avons traversé Sète d’est en ouest avant de nous garer au parking (gratuit) du Théâtre de la Mer Jean Villard, ce vieux reste de fortification avec vue sur la Méditerranée où j’avais eu la chance de voir jouer Marcus Miller en 2015. Cette fois-ci, point de musique, mais des photos, et une amie, Léa, pour nous accueillir et nous présenter les photos. Qui exposait ? Justyna Mielnikiewicz. Cette photographe de quarante-cinq ans documente, dans cette sélection de ses œuvres nommée The Meaning of a Nation, la vie des gens des pays du Caucase ou d’Ukraine. Des civils, des soldats. Des femmes et des hommes vivant dans des régions dont l’équilibre politique est précaire. Du noir et blanc, de la couleur, et un fil rouge : les rapports d’amour-haine entre ces peuples et l’empire gigantesque qu’est la Russie. Les tirages sont très beaux, et vous pouvez compter sur la médiatrice pour une contextualisation en profondeur de ces travaux.
Après avoir fumé notre clope avec la médiatrice (c’est comme ça, on connait des gens hauts placés, ne soyez pas jaloux·ses), nous nous sommes dirigés à pieds vers la MID. La Maison de l’Image Documentaire. Qu’a t-on vu là ? L’expo d’Arlene Gottfried, L’Insouciance d’une époque. Qu’en dire ? Les années 60 à 70, les plages américaines naturistes ou non, les quartiers populaires de New York City, par les portraits noir et blanc d’individus en apparence insouciants. De vraies gueules, de vraies dégaines. N’y allez pas pour voir des paysages. C’est cadré serré. Seul l’humain compte ici. Les regards, les actions, les accoutrements parfois farfelus, parfois la nudité, physique ou sentimentale, sont notre navette. On voyage en des régions et des époques loin loin loin de notre ici et maintenant à travers l’image des humains qui peuplaient ce recoin de l’espace-temps. Les tirages sont petits et leur qualité moyenne. C’est dommage, mais ce n’est pas la catastrophe non plus. Ne vous inquiétez pas, vous en aurez pour votre… ah ben non, c’est gratuit, alors vous plaignez pas.
Oui, je n’avais pas précisé, mais toutes les expositions du festival sont gratuites.
Un autre lieu d’exposition était la chapelle. Bon. On n’y a pas été. Enfin, on est bien allés voir une expo photo dans une chapelle, mais on s’est rendus compte à la fin de la journée que ce n’était pas la bonne. Rien à voir avec le festival. Un artiste avait loué le lieu pour exposer ses propres photos d’un élagueur grimpeur. C’était sympa quand même, mais du coup on a pas vu les travaux de Stéphane Couturier. Tant pis.
– PAUSE REPAS – On a mangé des tielles.
Ma chère Natha, j’ai bien reçu ton commentaire de ce matin dans lequel tu me demandais ce qu’était une tielle. La tielle, c’est une spécialité Sètoise. Comme Georges Brassens (mais à la différence des tielles, les Georges Brassens ne se mangent pas, attention donc à ne pas les confondre). C’est une tourte dont la pâte est fine, souple, grasse et orange. À l’intérieur, une sauce tomate épicée et du poulpe. Beaucoup de tomate, un peu de poulpe. On la mange froide ou chaude. Tu en trouveras ici la recette exacte. Mais je t’en supplie, soit gentille avec les poulpes. Ces petites bêtes-là sont sensibles, intelligentes, possèdent sans doute une conscience d’elles-mêmes, et n’aiment pas particulièrement qu’on leur découpe les tentacules, d’autant que l’ail sur les plaies, ça pique.
– PAUSE REPAS – J’ai bu un jus de litchi. J’avais demandé poire.
Ensuite, direction l’ancien collège Victor Hugo. Attention, ne pas confondre avec le nouveau collège Victor Hugo. On a confondu. On a marché un petit quart d’heure avant de trouver le lieu, mais on n’a pas été déçus. Les travaux de trois artistes y étaient exposés. Enfin, un et deux. Ceux de Gabriele Basilico, et ceux de Andrea et Magda.
Basilico prenait des bords de mer en photo. Prenait parce qu’il est mort. Des bords de mers parce qu’il était payé pour. Pas n’importe lesquels, les bords de mer, ceux du nord. Les photos sont grandes et belles, elles occupent le rez de chaussé et une partie de l’étage, il y a de quoi s’en prendre plein les mirettes. C’est du noir et blanc. C’est souvent du noir et blanc, vous allez me dire. C’est vrai. On a remarqué ça aussi.
Andrea et Magda présentaient plusieurs séries sous le titre d’Horizons Occupés. Clichés de Palestine, Jordanie, du Liban ou d’Égypte. Vous voulez voir des villes de pierres blanches au design futuriste montées par un investisseur américano-palestinien et que personne n’habite ? Allez-y. Vous voulez constater le effets du tourisme sur les régions, elles, plus si désertiques que ça mais marketées comme telles ? Allez-y. Vous aimeriez voir l’envers du décors d’une série qui retranscrit aussi fidèlement la vie au Moyen-Orient que plus belle la vie le way of life marseillais ? Allez-y. C’est très beau, tout ce gâchis. Très esthétique. Il vaut mieux le voir en photo que de vivre à proximité. Il vaut mieux en rire que de s’en foutre, comme disait l’autre chanteur dégagé.
Après tout ça, direction les Entrepôts Larosa, où ma colocataire en stage pour le mois nous attendait de pied ferme pour nous offrir un petit café et une belle visite des huit expositions (si je n’en oublie pas) présentes en ce lieu.
C’est là que j’ai trouvé ma came. J’y ai découvert les travaux de Mauricio Toro Goya. Et quel travaux ! Des photos très particulières, des ambrotypes néo-baroques, de la mise en scène, du flou et de la surcharge, du symbolisme à portée critique et politique. Toro Goya retrace l’histoire violente de l’Amérique Latine. La mort est là, partout présente, esthétisée pour raconter les horreurs de l’ère Pinochet et de toutes les maltraitances qu’ont subies les peuples de cette région du monde des années 80 à nos jours. Si vous le pouvez, demandez une visite guidée. D’ici, on ne peut pas comprendre cette sur-accumulation de symboles qui nous sont étrangers, pourtant aucun élément n’est là par hasard. Bref, allez voir ce que fait ce garçon, moi je n’en reviens toujours pas.
J’ai également découvert les photos intemporelles de Martin Bogren. Une espèce de petite révélation. Je prends beaucoup plus de plaisir devant le flou, quand mon imagination doit remplir le vide, que devant une image moderne ultra nette. Une exposition parfaite pour projeter ses sentiments sur des images qui ne disent rien par elles-mêmes, ni d’où elles viennent, ni de quelle époque elles sont tirées, ni qui est la personne photographiée. Je sur-kiffe pour parler jeune vieux.
Et João Pina, on en parle de João Pina ? Pardi qu’on en parle. Des images magnifiques du Brésil. Magnifiques ? Les photos le sont, oui. Mais il ne faut pas être choqué·e par les flaques de sang sur les trottoirs des favelas et les larmes de mères en deuil. Sinon c’est trop dur. Des gangs et des enfants. Des enfants dans les gangs. Et les jeux olympiques, et la coupe du monde de foot, à quelques kilomètres de là. Les mitraillettes dans le dos des adolescents et dans les mains des brigades policières. Des morts des deux côtés. Dix-huit par jour, on estime. Tout est là. Dans les photos. Faut pas fermer les yeux. C’est pas facile.
Et Alexander Chekmenev ? Mais bien sûr qu’on va en parler aussi. Chute de l’URSS. Du jour au lendemain, en Ukraine, il faut refaire tous les passeports. La population est appelée à venir se faire tirer le portrait d’identité. Toute la population ? Oui, toute, mais voilà, pour ceux et celles qui ne peuvent plus se déplacer, comment fait-on ? On envoie Chekmenev les photographier. Il va donc aller rendre visite à toutes ces personnes en incapacité de se déplacer, sur leur lieu de vie. Des personnes trop âgées, des personnes handicapées. La misère qu’il constate le frappe trop fort. Il lui faut élargir le cadre. Il lui faut montrer le dénuement sordide dans lequel le stalinisme a plongé une grande partie de la population des zones rurales. Alors, par ses propres moyens, il arrive à se financer une pellicule couleur. Une seule. Trente-six photos. La série s’appelle Passport. La plus poignante sans doute : une octogénaire, à la louche, vivant dans une seule et minuscule pièce. Elle est assise sur son lit, sur lequel repose toutes ses possessions : ses habits, sa cuisine (une bassine et quelques ustensiles), et au dessus de sa tête, comme l’étage d’un lit superposé, son cercueil, acheté à l’avance. Pourquoi faire refaire leur passeport à des gens incapables de se déplacer ? Ceux et celles qui l’ont reçu ont dû se poser la question. Une bonne partie ne les ont jamais reçus, ces passeports. Ils étaient morts avant. Ah la la, de nos jours les gens veulent tout tout de suite, savent plus patienter.
Il y a aussi le travail de Chloé Jafé, photographe française en immersion dans les vies des maîtresses de Yakuzas. De très belles images qui vous font penser aux structures sociales à la fois si particulières au Japon et si communes aux mafias et autres systèmes d’organisation rigides et patriarcaux.
Et puis, et puis, il y avait aussi l’expo collective sur mai 68. Le gros de l’exposition, ce sont des photos prises par les journalistes de France-Soir. On peut également voir des affiches d’époque, entendre un enregistrement de reportage radio en direct des affrontements. C’est beau. Ça donne envie de lutter contre. De lutter pour. C’est très léger, malgré l’état actuel du pays, à côté de toutes les autres expo. Cohn-Bendit a une maison de vacances à Sète. Il a été invité pour l’occasion. L’a pas voulu venir. Tant mieux. Qu’il reste chez lui. L’expo est assez dure comme ça pour des enfants, on n’a pas envie d’être obligé·e de passer sa visite à se retourner toutes les cinq minutes pour vérifier si notre petite-fille n’est pas en train d’ouvrir la braguette du vieux Cohn soi-disant de son plein gré.
Enfin, on est allés voir les moineaux. Quatre minuscules bébés moineaux lovés au creux d’une petite niche dans un mur au fond de l’entrepôt. Ils se cachaient bien, on n’a vu qu’un peu du duvet du dessus de leur crâne qui dépassait du nid. Ça c’est pas dans l’expo, mais je vous conseille tout de même de finir par ça. Un peu de douceur, ça ne fait pas de mal.
Bon. Pas de conclusion générale ? Non. Vous n’avez qu’à aller voir par vous-même. Le festival se termine ce dimanche 27 mai. Dépêchez-vous.
Aujourd’hui, qu’a t-on fait ? On s’est rendu à Sète pour profiter du festival international de photographie Images Singulières. Je ne suis pas expert en photographie, mais j’aime bien ça, et l’une de mes colocataires y effectue son stage de master durant tout le mois. Ça faisait donc deux bonnes raisons d’y aller. La troisième bonne raison c’était les tielles. J’ai mangé une tielle. C’était ma dernière tielle, je me le suis promis. Il n’y a pas de raison que le poulpe soit la seule espèce à échapper à mon refus de payer pour qu’on me prépare un cadavre à la seule fin d’amuser mes papilles. Je serai parti sur la meilleure impression, une tielle faite dans l’une des plus vieilles maisons tiellières sètoises. Mais revenons à la photo.
Non, en fait, n’y revenons pas. Je n’ai vraiment pas le temps. C’est que je suis devenu correcteur, vous savez. En deux mois j’ai dû corriger plus de deux cent pages. Des mémoires, des notes cliniques, des CV, des lettres de motivation… Ce soir, rebelote. Et il y a deadline de soumission de dossier à minuit. C’est important. C’est toujours important. C’est pourquoi c’est toujours au dernier moment que les gens vous demandent de corriger leurs textes. Parce que ce sont de sales petits procrastinateurs et teuses. J’ai donc cru un temps pouvoir rédiger ma note de blog, vers 19h30, mais c’est impossible. Je relève le nez des corrections, il est 21h52, je n’ai pas mangé et ce n’est pas fini. Allez, repassez demain, promis je vous en parle de ce festival. Je prendrai le temps de faire ça bien.
Aujourd’hui, on va faire bref. Il y avait un grand soleil ce matin, j’ai cuit à point le temps de fumer une cigarette sur le balconnet de deux mètres carrés qui nous sert de terrasse à la colocation. Et maintenant ? Une couche uniforme de gros nuages noirs prêts à crever s’étend à perte de vue. Que dit Météo France ? Qu’il est l’heure des averses orageuses. Juste ces trois prochaines heures, ensuite ce sera retour à la normale. C’était la même dimanche. Mon amie, que sur ce blog nous appellerons mon amie, était sortie pour un rendez-vous et s’est retrouvée trempée en dix minutes de trajet, les seules dix minutes de la journée pendant lesquelles le grand ciel bleu avait laissé place à une pluie tropicale. Quand je dis trempée… Ç’aurait été trempée jusqu’à l’os des pieds à la tête si elle n’avait pu trouver un abri au dernier moment. Elle ne fut donc que trempée des pieds. On a dû lui donner des chaussettes sèches sur son lieu de rendez-vous tellement elle était trempée des pieds. Je l’ai retrouvée en ville plus tard dans la journée, ses chaussettes dégoulinantes à la main. J’espère qu’elle ne m’en voudra pas trop de divulguer ainsi sa vie privée, mais les masses sont avides de petits détails intimes et il faut bien que j’attire le chaland comme je peux sans quoi je n’aurai jamais le prix Pulitzer du meilleur blog francophone.
Donc, pourquoi bref ? Pourquoi météo ? Parce que je dois justement sortir maintenant pour donner un cours d’anglais à vingt minutes de chez moi. Et oui, puisque, comme je vous le disais ici, je me suis décidé à travailler un peu après qu’on m’a sollicité. Décidément, je ne m’habituerai jamais à l’indicatif après après que. Aujourd’hui, donc, les averses orageuses, c’est pour ma gueule, et ça me fait moins marrer. Est-ce notre époque qui veut ça ? Comme les deux parties d’un couple se doivent de partager équitablement les tâches ménagères, on partage les intempéries ? Mouais. J’ai beau être pétri de sentiments égalitaristes, je ne suis pas certain de les assumer sur ce coup-ci.