CONVERSATIONS
de
L’ACADEMIE
de monsieur l’abbé
BOVRDELOT,
Contenant diverſes Recherches, Ob-
ſervations, Experiences, & Raiſon-
nemens de Phyſique, Medecine,
Chymie, & Mathematique.
Le tout recueilly par le Sr Le Gallois.
Et le Parallele de la Phyſique d’Ariſtote &
de celle de Monſ. Des Cartes, leu dans
ladite Academie.
(…)
RECHERCHES
et
OBSERVATIONS
PHYSIQUES,
livre premier.
(…)
SECONDE
Conversation
(…)
D’une pierre qui attire le venin des
morſures veneneuſes.
PERIANDRE alloit repliquer à Euſebe, ſi Theotime ne ſe fuſt leué pour prendre congé de la Compagnie. Il preſenta encore à Periandre vne pierre, dont il le pria d’éprouuer la vertu : Elle eſt, dit-il, miraculeuſe; car quand on applique la pierre ſur la plaie qu’vn ſerpent, vn chien enragé, ou vne autre beſte veneneuſe à faite ; elle s’y attache auec violence, & comme vne ſangſuë qui attire le ſang, elle s’y tient juſques à ce qu’elle en ait attiré tout le venin : aprés cela elle tombe d’elle-méme ; & ſi l’on luy veut faire perdre ce poiſon, on n’a qu’à la mettre dans du laict auec lequel il ſe meſle, ſi bien qu’elle revient dans ſon premier eſtat. Les portuguais l’appellent Capellos de colubras, c’eſt à dire pierre de couleuure ; & de fait elle eſt faite des os de certaines couleuures, leſquels eſtans paitris & accomodez auec quelqu’autre drogue, compoſent cette pierre, qui comme vous voiez eſt noire. Il n’y a que quatre perſonnes d’vne méme famille qui aient le ſecret de cette compoſition qu’ils n’ont pas reſolu de donner à qui que ce ſoit. On apporte cette pierre de Goa ; & l’Empereur, à ce qu’on dit, en a fait de grandes experiences en Sileſie ſur des animaux mordus par des chiens enragez. Le pere Kirker m’a dit auſſi à Rome, qu’il en auoit luy-méme fait l’experience ; & d’autres me l’ont encore confirmé. Quoy qu’il en ſoit, adjouta-t’il, vous la pouuez éprouuer vous mémé ; ce que Periandre luy promit de faire ; & ce qui fut fait auſſi quelque temps aprés chez Monſieur Charras, où elle fut appliquée ſur des pigeons que des viperes auoient mordus, & qui ne laiſſerent pas d’en mourir. En ſuite de cela le docte Theotime prit congé de Periandre, & s’en alla fort ſatiſfait de cette celebre Aſſemblée où il n’eſtoit point encore venu, & dont il ne pouuoit trop admirer les choſes doctes & curieuſes qui s’y diſent, non plus que l’ordre admirable auec lequel on les dit ſous la moderation de l’Illuſtre Periandre. Aprés que Théotime fut parti chacun voulut voir la pierre & l’examiner. Tout le monde admira la vertu qu’on luy attribuë. Mais ſoit que cet effet paruſt incroiable ; ſoit qu’en effet il y ait trop de difficulté à en trouuer la raiſon, on ne ſe mit pas auſſi fort en peine de la chercher, & l’on jugea plus à propos d’attendre à en chercher la cauſe quand on ſeroit aſſeuré de l’effet. Il n’y eut ſeulement que Periandre & Euſebe, qui dirent que probablement cette pierre eſtoit de la nature des terres lemnienne & ſigillée, dont le propre eſt de ſuccer les liqueurs, à cauſe de leur grande ſeichereſſe ; & qu’ainſi il ne falloit pas étonner de ce qu’elle attiroit le venin, puis qu’il eſt contenu dans la liqueur qu’elle ſucce comme vn éponge. Toute la Compagnie approuua cette penſée, & s’en contenta en attendant qu’on eût faite experience de la pierre.
LE GALLOIS, Pierre. Conversations de l’Academie de Monsieur l’abbé Bourdelot, contenant diverses Recherches, Observations, Experiences, et Raisonnemens de Physique, Medecine, Chymie, et Mathematique. Le tout recueilly par le Sr Le Gallois. Et le parallele de la Physique d’Aristote et de celle de Mons. Des Cartes, leu dans ladite Academie. Livre premier, seconde conversation, Paris, 1672, pp. 69–72.
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