les six
VOYAGES
de jean baptiste
TAVERNIER,
ecuyer baron d’aubonne,
qu’il a fait
EN TURQUIE, EN PERSE,
ET AUX INDES,
Pendant l’eſpace de quarante ans, & par toutes les routes que l’on peut tenir : accompagnez d’obſervations particulieres ſur la qualité, la religion, le gouvernement, les coûtumes & le commerce de chaque païs ; avec les figures, le poids, & la valeur de monnoyes qui y ont cours.
SECONDE PARTIE,
Où il eſt parlé des Indes, & des Iſles voiſines.
(…)
VOYAGES
DES INDES,
livre second
description historique
& politique de l’Empire du Grand Mogol
(…)
CHAPITRE XXIV.
Du Muſc & du Bezoar, & de quelques autres
pierres medicinales.
(…)
Je feray enfin mention de la pierre de Serpent, qui eſt à peu prés de la grandeur d’un double, & quelques-unes tirant ſur l’ovale, eſtant épaiſſe au milieu & devenant mince ſur les bords. Les Indiens diſent qu’elle ſe forme ſur la teſte de certains ſerpens ; mais je croirois plûtoſt que ce ſont les Preſtres des Idolâtres qui le leur font accroire, & que cette pierre eſt une compoſition qu’ils font de quelques drogues. Quoy qu’il en ſoit elle a une excellente vertu pour tirer tout le venin quand on a eſté mordu d’un animal venimeux. Si la partie où s’eſt faite la morſure n’eſt pas entamée, il faut y faire une inciſion afin que le ſang en ſorte, & lorſque la pierre y a eſté appliquée, elle ne tombe point qu’elle n’ait tiré tout le venin qui s’amaſſe autour. Pour la nettoyer on prend du laict de femme, ou à ſon defaut du laict de vache, & après y avoir trempé dix ou douze heures, ce laict qui a attiré tout le venin prend une couleur d’apoſtume. Ayant un jour dîné avec l’Archevêque de Goa, il me mena dans ſon cabinet de raretez où il avoit pluſieurs pieces curieuſes. Entre autres choſes il me montra une de ces pierres, & m’en diſant la proprieté m’aſſura qu’il n’y avoit que trois jours qu’il en avoit fait l’experience, enſuite de quoy il m’en fit preſent. Comme il traverſoit un marais de l’Iſle de Salſete où eſt Goa pour aller à une maiſon de campagne, un de ceux qui le portoient dans ſon Pallekis & qui ſont preſque tout nuds, fut mordu d’un ſerpent & gueri en méme-temps par cette pierre. J’en ay acheté pluſieurs, & il n’y a que les Bramines qui les vendent, ce qui me fait juger que ce ſont eux qui les font. On ſe ſert de deux moyens pour éprouver ſi cette pierre de ſerpent eſt bonne, & s’il n’y a point de tromperie. Le premier eſt, ſi l’on met la pierre dans la bouche, car alors la pierre eſtant bonne elle ſaute & s’attache incontinent au palais. L’autre eſt, de la mettre dans un verre plein d’eau, & auſſi-toſt ſi elle n’eſt point falſifiée l’eau ſe met à boüillonner, de petites veſſies montant depuis la pierre qui eſt au fond juſques au deſſus de l’eau.
Il y a encore une autre pierre qu’on appelle auſſi pierre de Serpent au chaperon. C’eſt une eſpece de ſerpent qui a en effet comme un chaperon qui luy pend derriere la teſte, ainſi qu’il eſt repreſenté dans la figure ſuivante, & c’eſt derriere ce chaperon qu’on trouve la pierre, la moindre eſtant de la groſſeur d’un œuf de poule. Il y a des Serpens en Afrique & en Aſie d’une grandeur monſtrueuſe & qui ont juſqu’à 25. pieds de long, comme eſtoit celuy dont on garde la peau à Batavia, & qui avoit avallé une fille de 18 ans, dont j’ay fait ailleurs l’hiſtoire. On ne trouve point de ces pierres qu’aux ſerpens qui ont au moins deux pieds de long. Cette pierre qui n’eſt pas dure eſtant broyée contre une autre pierre rend un certain limon, lequel detrempé avec de l’eau & bû par la perſonne qui a quelque poiſon dans le corps a la vertu de le chaſſer auſſi-toſt.
Il n’y a de ces ſerpens qu’aux coſtes de Melinde, & on peut avoir de ces pierres par le moyen des matelots & ſoldats Portugais qui reviennent de Mozambique.
TAVERNIER, Jean-Baptiste. Les six voyages de Jean Baptiste Tavernier, ecuyer baron d’Aubonne, qu’il a fait en Turquie, en Perse, et aux Indes, Pendant l’espace de quarante ans, et par toutes les routes que l’on peut tenir : accompagnez d’observations particulieres sur la qualité, la religion, le gouvernement, les coûtumes et le commerce de chaque païs ; avec les figures, le poids, et la valeur de monnoyes qui y ont cours. Seconde partie, livre second, chapitre XXIV, Paris, 1676, pp. 351–353.
Voir le document original numérisé en ligne sur les sites suivant :
- Gallica
- Gallica (version noir et blanc, plus légère)
- HathiTrust
Police d’écriture utilisée pour la reproduction du texte ancien : IM FELL DW Pica. The Fell Types are digitally reproduced by Igino Marini. www.iginomarini.com