#274 – Monsieur Victor Ardisson

Lorsque Ardisson s’est présenté à moi, il était vêtu d’une blouse blanche, d’une chemise fournie par la prison, d’un pantalon gris. Il était coiffé d’un chapeau gris enfoncé à la manière des maçons et chaussé de gros souliers de campagne.

C’est un homme petit, d’allure massive et paysanne, la tête inclinée à droite. Il sait qu’il est intéressant. En venant vers moi, dans la cour de la prison, il lisse hâtivement sa moustache. En entrant, il salue franchement et sourit. Il a les cheveux blonds, la moustache très blonde, le bas de la figure carré. Il a l’air niais, surtout dans son rire qui ressemble à un hoquet. Dans ma première visite, le Dr Doze, qui a bien voulu m’accompagner, entame la conversation en provençal. Ardisson répond en riant à toutes les questions qu’on lui pose. Il est content qu’on s’occupe de lui, se soumet sans difficulté à l’examen et me répond en français aussi bien qu’il le peut. Il répète qu’il se trouve très heureux en prison, l’écrit même sur ma demande et fume avec plaisir les cigarettes que nous lui offrons.

Il n’y pas un instant de doute à avoir. C’est bien un « minus habens » que j’ai devant moi. Et comme tous ceux qui l’ont jusqu’à présent interrogé, je suis obligé de sourire de cette stupéfiante absence de sens moral, de ce rire saccadé dont il accompagne jusqu’aux plus ignobles détails qu’il me révèle.

A l’inspection un peu détaillée, je remarque que les cheveux sont blond clair, assez fournis, à un seul tourbillon, normalement implantés et à bordure régulière. Le front est moyen, non fuyant, les sourcils épais. Les yeux sont peu fendus, à angle externe relevé, gris avec quelques rares reflets orangés. Le nez est droit, présente à sa racine une ride circonflexe assez rare en anthropologie pour être signalée. Les narines sont moyennes et peu mobiles. La lèvre supérieure est épaisse, proémine, la moustache et la barbe sont d’un blond un peu roux. Le menton est légèrement en retrait, ce qui constitue un certain degré de prognathisme supérieur. Les dents inférieures sont en retrait sur les supérieures de quelques millimètres. Les angles des mâchoires sont très saillants, les pommettes effacées, les zygomes peu accentués. Les oreilles sont moyennes, bien ourlées, sans tubercule de Darwin, à lobule adhérent.

Le crâne est en carène, sans inégalité autre qu’une proéminence de la bosse pariétale gauche. La bosse occipitale n’est point bombée, le crâne est au contraire petit en arrière. L’ensemble est nettement dolichocéphale.

En regardant attentivement la face, on aperçoit une asymétrie peu marquée à première vue mais certaine. A gauche, l’angle de la mandibule est plus saillant, la pommette plus forte, la paupière inférieure plus haute, ce qui fait paraître l’œil plus petit et son angle externe plus relevé que du côté droit. L’oreille gauche est implantée très légèrement plus haut que la droite.

Les plis et rides de la face sont symétriques et réguliers. Ils sont nombreux et égaux dans le rire et le siffler.

La langue est droite, très mobile, un peu tremblante.

Le cou est court, tout à fait normal.

Le buste est épais, le thorax bombé et non velu, mais n’est point en carène. L’épaule gauche est nettement plus haute que l’épaule droite. Il n’y a aucune déviation ni déformation de la colonne vertébrale. L’abdomen est gros.

Le membre supérieur est un peu grêle, mais bien conformé. La main ne présente aucune anomalie. Elle a les plis habituels. Le pouce n’est ni carré, ni en bille. Les ongles n’ont pas de striation. L’ongle de l’auriculaire, surtout à gauche, est très long. C’est par coquetterie. « Ça sert à faire tomber la cendre de la cigarette », me confesse Ardisson. Les bras et surtout les mains sont le siège d’un tremblement généralisé rappelant le tremblement sénile. Il augmente quand on attire l’attention sur lui, ou suivant les jours. Imperceptible parfois, il peut être tel qu’il empêche de tenir les objets. Il n’augmenterait point dans l’excitation sexuelle.

Les jambes sont normales, assez velues, pas très musclées. Les condyles fémoraux internes sont un peu saillants. Le pied n’offre de particulier que des orteils carrés, non déformés et presque égaux en longueur. Le tremblement est très accentué aux jambes, surtout quand le membre inférieur est étendu sans être soutenu. Il existe une véritable danse de la rotule.

J’ai fait ensuite l’examen détaillé des organes des sens.

Yeux. — Réflexe palpébral interne intact. Il y a quelquefois du battement des paupières.

Réflexe conjonctival normal.

Pupilles égales, réagissant très bien à la lumière et à l’accommodation.

Acuité visuelle normale. Ardisson prétend y voir presque aussi bien la nuit que le jour. Cette nyctalopie demanderait à être confirmée.

Le champ visuel est très rétréci, des deux yeux également. Grossièrement mesuré, il m’a donné 25 centimètres environ.

Oreilles. — Jamais d’écoulements, ni de maux d’oreilles. L’acuité auditive est très diminuée, la montre n’étant entendue qu’au contact de l’oreille et n’étant pas entendue au contact du crâne.

Appareil olfactif. — L’odorat est nul. Ardisson ne discerne même pas le poivre à l’odeur. On s’explique ainsi qu’il ait pu vivre à coté d’un cadavre en putréfaction sans répugnance.

Appareil gustatif. — Le goût est également aboli ; il ne permet pas la distinction du salé et du sucré. Ardisson a mangé de la viande pourrie et les choses les plus abjectes, comme le sperme, grâce à cette agustie totale. Il fume sans éprouver du tabac la moindre impression.

Toucher. — Le tact est imparfait, tant à la pulpe des doigts qu’aux lèvres et à l’extrémité de la langue. Il faut piquer fortement pour provoquer de la douleur.

La sensibilité générale est amoindrie d’une façon égale des deux côtés. L’hypoesthésie est surtout marquée au tronc. Il faut un écartement anormal du compas de Weber pour les pointes soient perçues.

Les organes génitaux sont d’apparence très normale, assez petits, bruns, velus. Le prépuce, assez long, recouvre le gland sans le dépasser. Les testicules sont fermes, très sensibles à la pression, le gauche un peu plus bas que le droit. Il n’y a pas de trace de maladie vénérienne.

Les érections ne sont point fréquentes. Il semble qu’en prison le détenu soit calme au point de vue génital. Le réflexe crémastérien existe, plus net à gauche.

La force musculaire est au-dessous de la moyenne. On sait que si Ardisson n’emporta que le cadavre d’une enfant de trois ans, c’est qu’il trouva les autres trop lourds. Les mains surtout ont peu de force pour serrer. Les bras résistent mal quand on cherche à les étendre et à les élever. Les jambes sont bien plus robustes. Ardisson est droitier.

Par le pincement, on provoque sur le biceps une onde musculaire très nette.

Les réflexes musculaires et tendineux sont nuls aux muscles temporaux et masséters ainsi qu’à la face antérieure du bras. La percussion du triceps au-dessus de l’olécrâne détermine une extension assez franche de l’avant-bras. La flexion brusque des doigts par percussion de l’avant-bras est peu accentuée. Le réflexe de Westphal est légèrement exagéré des deux cotés. Celui du tendon d’Achille n’existe pas.

Les réflexes peauciers au cou et à l’abdomen n’existent pas. Le réflexe crémastérien, ai-je dit, est marqué. Le chatouillement de la plante du pied provoque une sensation, mais très peu de mouvement. Au pied droit j’ai cependant, à plusieurs fois, vu cette manœuvre suivie de l’extension du gros orteil et d’un ou deux des orteils suivants.

Les réflexes muqueux ont montré une abolition complète de la sensibilité pharyngée.

Les réflexes circulatoires ne sont pas marqués. Ardisson est pâle et ne rougit point. Il n’y a ni dermographisme, ni troubles vaso-moteurs.

La circulation est du reste en général normale et les bruits du cœur n’offrent rien de particulier.

L’appareil respiratoire n’offre rien à signaler. L’auscultation est difficile.

L’appareil digestif présente comme particularité l’extraordinaire intensité de l’appétit. A la prison Ardisson mange trois gamelles et deux pains, c’est-a-dire le régime de trois détenus ; au régiment, sa voracité nous a été rapportée par le capitaine Lemoine. Le besoin de manger est le primum movens dans la vie d’Ardisson. Je ne reviens que pour mémoire sur la façon hétéroclite dont il se nourrissait.

Les digestions et les selles sont normales.

L’appareil urinaire ne présente rien d’intéressant.

Le système pileux examiné avec soin n’a donné lieu à aucune remarque particulière.

Les stigmates physiques de dégénérescence ont été cherchés infructueusement. J’ai décrit l’asymétrie faciale et le tremblement. La voûte palatine n’est point ogivale, les dents sont au complet, très saines, très régulières, très bien plantées. Les oreilles n’ont que l’adhérence du lobule.

Les stigmates psychiques de dégénérescence sont par contre légion.

La sensibilité est, nous l’avons vu, très amoindrie chez lui.

La volonté ne l’est pas moins. Les impulsions même n’ont pas plus de force que chez un sujet normal, mais c’est le frein qui manque tout à fait, le discernement de ce qui est bien et de ce qui es mal.

La mémoire, sans être complètement défectueuse, n’est pas brillante. Elle se fatigue vite.

Si Ardisson n’a ni cauchemars, ni hallucinations, il rêve à haute voix à ce que disent ses co-détenus.

Enfin, il a quelques absences sur lesquelles je n’ai pu avoir aucun détail.

En somme Ardisson est un débile mental inconscient des actes qu’il accomplit. Il a violé des cadavres parce que, fossoyeur, il lui était facile de se procurer des apparences de femme sous forme de cadavres auxquels il prêtait une sorte d’existence.


Description de Victor Ardisson par Alexis Épaulard, élève de l’ École du Service de santé militaire, dans sa thèse pour obtenir le grade de docteur en médecine : VAMPIRISME : Nécrophilie, Nécrosadisme, Nécrophagie, présentée à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Lyon, et soutenue publiquement le 23 décembre 1901 (disponible sur Gallica).

Le chapitre dédié à Victor Ardisson se trouve pages 20 à 37.


J’ai posté cet extrait ici parce que :

  • Cette description d’une technicité folle m’a tellement emporté qu’en la lisant j’ai oublié les 30 pages d’horreur que je venais de me taper juste avant. J’aimerai franchement posséder ce sens de l’observation à la Sherlock Holmes, j’imagine que ça s’apprend mais j’ai sans doute passé l’âge.
  • Je me suis aussi dit que vous n’alliez pas voir venir la chute tout de suite et je me frottais les mains de vous imaginer presque en empathie avec ce pauvre bonhomme un peu bêta sous le regard froid d’un scientifique jusqu’à ce que vous compreniez que ce malheureux-là a réellement violé, entre autres, le cadavre d’une petite fille de trois ans.
  • Je sais que quand on fait une liste on ne met ni majuscules ni points, vous avez qu’à faire vos propres listes si vous êtes pas jouasses.

Sachez par ailleurs qu’en début d’ouvrage l’auteur dédie sa thèse à ses parents. Ils devaient être contents. Je me demande s’ils l’ont lue. Et si oui, si la fierté l’a emporté sur l’envie de gerber.

#261 – Je vous ai manqué ? Z’êtes pas obligé·e de répondre tout de suite…

Bienvenue, lisouilleur·lisouilleuse, sur ecrivouilleur.fr !

« C’est-y pas possible d’avoir la bougeotte comme ça, » se disent celles et ceux qui m’ont suivi de Montpelliérien à Lyonniais et qui constatent avec effarement que j’ai, une troisième fois, changé de blog et de nom de domaine. « Il a une hélice dans le cul celui-là ! » ajoutent les qui connaissent cette délicieuse expression Tchèque. Ben ouais. Mais cette fois, c’est pour de bon. On va se poser ici quelques années, si ce n’est pas ad vitam æternam. Alors, oubliez les deux anciens blogs, mettez celui-ci dans vos favoris ou ajoutez-le à vote longue liste de flux RSS si vous voulez être tenu·e au courant des dernières publications, et bouclez-la deux secondes le temps que je vous explique le comment du pourquoi, le où du quand.

Hein ? Le qui ? Ben c’est moi, patate.

Avant de se lancer dans de laborieuses explications, sachez que tous les articles, toutes les images, tous les commentaires des deux anciens blogs ont bien été transférés sur celui-ci. Rien n’es perdu, pouvez aller fureter dans les archives à loisir. Pour l’instant les liens sont encore à refaire bien au propre et pas mal d’images sont toujours hébergées sur les anciens blogs (mais bien visibles quoi qu’il en soit). Dans quelques jours je devrais avoir réglé tout ça et tout ce que vous pourrez voir-lire-écouter sera à 100% hébergé sur Écrivouilleur. (mise-à-jour 01-04-19 : fait !)

Photo par Koinkoin (Montpellier, rue Coste-Frège) – Montpellier il y a un an et un mois. NERVER FORGET

Pourquoi ce changement ? – PARTIE 1 –

Je fais pas mon beurre sur vos épinards

Parce que si vous aviez lu cet article, vous savez que je cherchais une solution d’hébergement la moins nocive pour notre petite planète déjà bien amochée. L’idéal pour ne pas saloper une peu plus la planète aurait été, comme le dit si bien mon ami Feldo, d’aller vivre tout nu dans la forêt, mais je n’ai pu m’y résoudre, flippé des araignées que je suis. Donc, j’ai choisi un hébergeur situé en région parisienne qui tente par plusieurs moyens, que je ne développerai pas j’ai pas le temps, de réduire l’impact négatif de leurs serveurs sur nos vies futures. Le logiciel qui fait tourner le blog est toujours wordpress, un logiciel open source gratuit, mais, suivez, il n’est plus hébergé sur les serveurs d’Automattic maison mère éditrice du logiciel. Double économie donc : d’argent pour moi (ça devenait cher), d’énergie pour tous.

Tout cela me permet de vous garantir 1) que vous ne serez jamais soumis·e à une quelconque publicité sur ce site, 2) que vos données ne seront jamais utilisées à une quelconque fin commerciale. Comment ça se fait ? Tout simplement car je n’ai installé, et n’installerai jamais, aucun outil de statistiques, de pistage ou d’anti-spam sur ce site, puisque cela impliquerait (étant moi-même absolument incapable de développer de tels outils) qu’un tiers ait accès à votre adresse IP, votre localisation et peut-être même, en recoupant les traces laissées par vous sur d’autres sites, vos habitudes en ligne.

Cependant :

  • Sachez que si vous laissez un commentaire, j’aurais accès à votre adresse e-mail et votre adresse IP (dont je ne saurais quoi foutre, ne sachant déjà pas exactement ce que c’est). Mais je serai bien le seul à y avoir accès, d’une, et de deux, encore une fois, je n’en ferai rien. Promis, juré, craché. Ptui. Je mets les mains bien en évidence, constatez, croise pas les doigts. Je vous encourage donc tout de même à me laisser des petits commentaires de temps en temps, puisque c’est la seule façon pour moi de savoir que vous êtes passé·e. Ça me fera vraiment plaisir et j’aurais moins l’impression de blablater dans le vide. Vous pouvez allez lire en détail ma page de politique de confidentialité si vous le souhaitez.

Ah oui, par contre si vous me suiviez par le lecteur wordpress (les abonnements de blog à blog wordpress) et voulez continuer à le faire, c’est possible. Cherchez ecrivouilleur.fr et abonnez-vous au nouveau site, mais souvenez-vous que si vous passez par là Automattic (éditeur de wordpress, je répète, suivez un peu) saura évidemment que vous êtes abonné·e et quels articles vous avez consulté. Ça ne tient pas de ma responsabilité car ça ne change rien à ce qui est conservé de vos données sur ecrivouilleur.fr.

  • En ce qui concerne la « publicité, » soyons quand même d’accord sur le terme, je ne m’interdirai pas de parler dans les articles de divers projets chouettos qui me barbouillent le cœur de pommade apaisante et dans lesquels je n’ai aucun intérêt financier. Mais je ne gagnerai pas un centime sur votre dos. Soyez bien sûr·e que je ne suis pas du genre à vous dire achetez ceci, louez cela, ni à faire la promotion d’une quelconque entreprise-machine-à-fric-broyeuse-de-vie. Je déteste profondément les machines à fric et la publicité, qu’on devrait renommer plus justement lavage-de-cerveau-à-des-fins-mercantiles.
Lyon la semaine dernière (je sais plus trop où, à l’une des intersections de la montée de Choulans et de la montée des Génovéfains)

Pourquoi ce changement ? – PARTIE 2 –

Quand on a une hélice dans le cul, on s’abstient d’ouvrir un blog par ville habitée

Ben oui. Mon amie et moi allons sans doute devoir déménager encore pas mal de fois dans les années qui viennent, et je ne suis pas si doué que ça en jeux de mots. Montpelliérien, c’était une bonne idée car je n’avais pas encore rencontré mon amie à l’époque et que je pensais y rester quelques paires d’années de plus. Lyonniais, c’était pour faire suite à Montpelliérien, mais j’avais mal calculé mon coup, puisque même pas un an plus tard, on va sans doute devoir rebouger. Et la suite ? Dans quelques mois, ç’aurait été quoi, hein ? Londoniet ? Praguouaille ? Francfortoilette ? Non, vraiment, il valait mieux trouver un nom plus générique. Écrivouilleur, c’est bien. Ça me permet d’annoncer que j’écris, d’accord, mais sans prendre tout ça trop au sérieux. Me permet également, en déclinant le machin, de dire que j’écrivouille, dessinouille et que je musicouille. Et vous savez, je crois sincèrement que plus plus on a l’occasion d’écrire couille dans sa vie, plus on est heureux·se.

Comment ça va se passer maintenant ?

Non, non, rien n’a changé. Tout, tout a continué…

…comme le chantait les Poppys sur une instru bien typée seventys.

Je vais continuer à causer de tout et surtout n’importe quoi. Ma vie, la votre, la leur, l’art, la science, la technique, l’absurde, le concret, l’entre-deux qu’est la réalité, l’important, le dérisoire, le sérieux et le déconnant, le beau et le laid, la tristesse et la joie, la France, le Japon, la Magnaquie et la Dépressie, bref, le Monde (Diplomatique de préférence).

Le décret du 25 mars 2019 disait en somme que ce blog ne serait plus tenu quotidiennement. Je vais tout de même tâcher d’écrire le plus régulièrement possible. Ces quelques jours à ne pas rédiger ma petite note de blog quotidienne m’ont bien laissé le temps de ressentir le manque de. Si c’est une pression, c’est peut-être également le seul repère fixe dans ma vie à ce jour, le blog. Un peu triste, hein ? Ben oui, mais voilà : les déménagements futurs presque inévitables et, donc, la difficulté à m’investir dans une activité sur le long terme m’incitent à conserver ce rendez-vous régulier avec vous, lectrice et lecteur anonyme. C’est une sorte de mini-objectif à chaque journée, bien pratique les jours où je ne trouve pas les ressources de m’en inventer un. Alors (quand je vous annonçait au tout début que je ne cesserai sans doute pas de me contredire, hein…) je vais essayer de continuer dans le quotidien. Mais si vous débarqué un jour sans rien trouver de neuf, c’est simplement que j’ai eu autre chose à faire, ou que j’étais déprimé, ou parti en vacances, ou que j’ai pas vu l’heure. Bref, comme j’avais établi une sorte de pacte de livraison quotidienne, je le défais, simplement histoire qu’on ne me reproche pas de ne l’avoir pas respecté. Oui, je sais, je fais des histoires pour pas grand chose, c’est simplement pour essayer d’être le plus réglo possible, envers vous, envers moi-même.

Quoi d’autre ? Rien. Je pense que c’est assez pour aujourd’hui.

À bientôt !

Ah si ! Pardonnez. Pour la numérotation, on fait comme si Montpelliérien, Lyonniais et Écrivouilleur n’avaient été qu’un seul et même blog. Vous vous en foutez ? Parfois je me demande si vous ne venez pas ici seulement pour me percer les flancs de vos petites remarques pointues et me regarder saigner. Vous êtes cruel·le, lectrice, lecteur…

#259 – Lyonniais #084 – Le papy de Fourvière

Il ne faut pas teaser. Sur le coup on se dit que c’est une bonne idée, on se trompe toujours. L’envie d’un jour d’aborder un sujet le lendemain s’évapore presque à coup sûr dans la nuit. Mais c’est trop tard, j’ai teasé. Tant pis pour ma gueule. Voici donc l’histoire du papy de Fourvière nous racontant l’histoire de Lyon. Je voulais l’agrémenter de photos liés aux lieux cités, mais je n’en ai pas prises sur le coup, j’ai voulu aller les prendre aujourd’hui, mais je me suis rappelé qu’on était samedi, et un samedi de très beau temps avec ça, donc que l’endroit serait plein à craquer de touristes… Alors voici, une fois de plus, un texte bien sec, sans jolies petites images pour vous délasser les oreilles intérieures de votre voix intérieure. Je les rajouterai dans quelques jours peut-être, les photos.

Nous étions donc, mon amie et moi, accompagnés de mes parents à qui nous faisions visiter la ville. En haut de Fourvière, sur le côté gauche de la basilique, appuyé sur la table-plan de la ville, je devais être en train de dire que là-bas c’était l’hôtel de ville, et là-bas l’opéra, des trucs comme ça quoi, quand un petit bonhomme, casquette vissée sur la tête, lunettes de soleil fixées au nez, très très fine moustache droite à l’ancienne soulignant le rebord de la lèvre supérieure, est venu nous demander : « Vous êtes de Lyon ? »

« Euh… oui depuis pas longtemps et non… » Il s’est alors mis à nous dire qu’il était dommage qu’à Lyon tout soit si mal indiqué, tenez par exemple, regardez droit devant vous, à l’horizon… puis à nous décrire parfaitement les conditions climatiques par lesquelles on pouvait, de la rambarde contre laquelle on était appuyés, apercevoir les alpes, et même le Montblanc. Conditions climatiques aujourd’hui difficile à réunir, notamment à cause des fleuves et des particules fines dans l’atmosphère. Cela dit, nous a-t-il précisé, ce n’était pas pire qu’à l’époque où, les usines étant encore dans le ville, les particules s’échappant des cheminées n’étaient pas fines du tout et plongeaient bien souvent Lyon dans un brouillard Londonien.

Il a enchainé sur la tour métallique, elle aussi à gauche de la basilique. À gauche quand on fait face à la porte principale de celle-ci, hein. Cette tour est une copie du troisième étage de la tour Eiffel, nous a-t-il appris. Elle mesure 85 mètres de haut. Pourquoi ? Parce que, placé où elle est, à 290 mètres au dessus du niveau de la mer, son sommet dépasse ainsi le sommet de la tour Eiffel, la vraie. La plus grosse quéquette, on n’en sort jamais. Il y avait à sa base une brasserie, continua-t-il, mais celle-ci ferma et le tout fut clos au public pendant des années. Pourquoi ? Parce que personne n’y venait. Il n’y avait à l’époque que le funiculaire pour vous y conduire. Les gens n’avaient pas de voiture. Elle fut ensuite rachetée par la télévision et restauré, me ne rouvrit jamais au public.

Ce qui nous a tous frappé, je pense, c’est à quel point les explications s’enchaînaient, sans une seule hésitation, pas un bredouillement, avec précision en ce qui concernait les années et les chiffres, et dans un français impeccable et délicieusement daté. Il nous raconta également pourquoi les Romains avaient choisi Fourvière pour établir Lungdunum et comment lorsqu’ils en descendirent, les kilomètres de canalisations en plomb qu’ils avaient installé pour l’acheminement de l’eau avaient été volés par d’autres Romains. Entre deux commentaires digne des plus grands guides conférenciers, il nous apprit qu’il était arrivé à Lyon en 1951, exilé d’Espagne, qu’il avait 87 ans, et nous montra qu’il pouvait encore lancer sa jambe au dessus du niveau de sa ceinture, ou comment il pouvait d’un coup poser ses fesses sur ses talons et se relever, tout ça sans la moindre peine, sans la moindre raideur. C’était très impressionnant.

Il en profita, comme toute personne âgée, pour faire un petit détour par les jeunes qui ne respectaient plus trop les choses aujourd’hui. Tenez, avant, là il y avait une grande table en pierre et en verre qui a été saccagée. Exemple. Et puis, autre exemple, comment, un jour, ici même, alors qu’il parlait à d’autres touristes (ce qui nous fit comprendre que ce monsieur profitait en fait de sa retraite pour faire gracieusement le guide), des jeunes l’avaient croisé et étaient revenus en courant par derrière pour lui voler sa casquette. Pauvre papy. Il profita de l’anecdote pour en glisser une troisième, vous savez comment sont les papys, et pour relativiser le manque de civisme de notre époque, car s’il avait l’air un peu attristé, il ne semblait pas du genre à condamner toute une génération : à son arrivée à Lyon, dans les années 50 donc, il y avait déjà des pickpockets. Il y en avait même beaucoup. C’était au surlendemain de la guerre, et les gens vivaient majoritairement dans la misère. Mais, nous confia-t-il, à l’époque, quand un pickpocket vous volait votre portefeuille, il y prenait l’argent, d’accord, et les tickets de tabac, celui-ci étant rationné, et allait rendre le portefeuille à la poste. Sympa les voleurs de l’époque.

Tout ce que je vous raconte-là, s’est passé en vingt minutes environ. Et j’en ai oublié plus de la moitié. La cour des Voraces, le grand bâtiment là bas, celui-ci en contrebas, l’autre côté du Rhône, le maire laïc et l’accès à l’église non restauré, l’histoire des aqueducs, le nombre exact de tuyaux en plombs installés et volés par les Romains, et sur combien de kilomètres, et les couverts en plomb aussi. Tout ça toujours avec la même précision dans les nombres, la même assurance dans le propos, la même diction parfaite. Épatant le papy. Moi à 87 ans, je serai mort ou sénile. Sûr.

Je m’aperçois que je ne rends pas assez bien compte de la différence entre ce monsieur d’un certain âge et un vulgaire emmerdeur en mal de conversation qui vous tient la jambe des heures durant sans se rendre compte que vous vous emmerdez mais êtes trop polis pour l’arrêter. C’est qu’il était totalement avec nous. Il ne vomissait pas sa litanie, ne racontait pas dans le vide. Il posait des questions, rebondissait sur nos remarques. Il n’était pas tout seul à dérouler sa science à nos oreilles bouchées. Il était dans la conversation. Par exemple, pendant qu’il nous expliquait la Croix-Rousse et les métiers à tisser Jacquard ainsi que l’histoire des Canuts et pourquoi ils avaient migré du Vieux Lyon à la Croix-Rousse justement parce que les nouveaux métiers à tisser jacquard étaient plus hauts et ne rentraient pas dans les vieilles baraques, il en profita pour nous apprendre qu’à Lyon, on pouvait entendre dire : « arrête ton bistanclaque ! » Bistanclaque, mot onomatopéique qui reproduit le son du métier à tisser des Canuts, le bruit pas tenable quoi, et qui finit par désigner le métier à tisser lui-même. Donc, quand on dit arrête ton bistanclaque, ça veut dire arrête de raconter tes salades, tu me fatigues les oreilles. Explication après laquelle le monsieur ne manqua pas d’ajouter : « un peu comme je suis en train de faire là avec vous », et de rigoler. Vous voyez, c’est à ce genre de petites choses qu’il était agréable de l’écouter. Sa véritable présence. Ses mots pas seulement pour s’entendre parler, mais pour nous instruire véritablement, nous étonner, nous amuser. Il y avait de l’interaction.

Bon, c’est pas tout mais… Ah oui, l’aqueduc, on peut encore en voir une partie du réservoir, qu’il nous dit. Vous voulez que je vous montre ? C’est juste à côté. Oui qu’on a dit. On l’a donc suivi. Pendant une heure, une heure et demie je pense.

Avant d’avancer trop, il nous a montré une sorte de petit kiosque sur le côté de la basilique. Ça, ça servait à vendre les tickets pour les visites du toit de la basilique. On y montait par un petit escalier. Mais ils l’ont fermé aujourd’hui. Pourquoi ? Trop de suicides. L’avant-dernier l’avait particulièrement touché nous avouait-il. Il s’agissait d’une jeune fille d’une vingtaine d’années. Elle vivait dans un tout petit une pièce, tout seule avec son bébé, sur les pentes de la Croix-Rousse, elle était étudiante. Elle avait des soucis avec ses parents, ils avaient fini par ne plus se parler, brouillés. Elle avait très peu de moyens de subsistance, elle ne voyait plus comment s’en sortir, s’est sans doute sentie acculée. Elle a monté les marches, s’est postée sur le rebord du toit, a jeté son bébé en premier qui a atterri dans les branches d’un arbre en contrebas, puis s’est jetée elle-même la tête la première dans le vide. « Vous vous rendez-compte ? qu’il nous disait le papy de Fourvière, il ne jugeait pas, l’état de désespoir dans lequel il faut être pour en arriver là ». Le dernier suicide en date, c’était un jeune homme de trente quatre ans. « Le désespoir… » n’arrêtait-il pas d’évoquer. C’était touchant de voir ce vieil homme avoir tant d’empathie. Lui pétait la forme, mais quand on lui demandait comment il avait fait, il répondait je n’ai pas fais d’excès, mais j’ai surtout eu beaucoup de chance. Il avait assez vécu pour ne pas juger, pour se mettre à la place des autres, pour constater sans doute comme une existence humaine se construit sur des deuils et des douleurs. Merci papy, tu m’as ému.

Et puis il nous a finalement emmené voir le réservoir d’eau de l’aqueduc Romain, que personne ne pourrait trouver seul, et l’arche qui restait de l’aqueduc, l’endroit ou le funiculaire arrivait, d’où le tramway avec remorque à cercueils partait pour aller au cimetière, le chemin du cimetière étant trop dur pour les chevaux. Il nous emmena également voir, depuis une terrasse, les vestiges romains, l’odéon et le grand machin dont je me souviens plus le nom, lui la savait. L’ancienne résidence du désormais tristement et nationalement connu Barbarin, nous dit à peu près où était né l’empereur romain Claude (an 10 avant l’autre tarte), nous montra la première rue de Lungdnum, nous expliqua comment on choisissait la première rue pour bâtir une ville à l’époque, où le maire avait fait mettre une plaque pour expliquer cette histoire et comment la plaque avait été ôtée de là, bien qu’on en voit encore la trace, pour être mise quelques rues plus loin, par hasard juste à côté de l’hôtel quatre étoiles. Il n’oublia pas de plaindre, mais avec tendresse, cette époque dirigée par l’argent à cette occasion. Tout est pour le business. Enfin il nous raccompagna au funiculaire, nous montra comment de la sortie du funiculaire on avait l’impression qu’une des deux tours de la basilique était plus grande que l’autre et de nous préciser que ce n’était qu’un effet d’optique, car la basilique était en fait bâtie légèrement de travers par rapport à la sortie du funiculaire.

Le fait que l’un des mendiants sur le parvis de la basilique le hèle « hé ! papyyy ! », qu’il nous apprennent qu’il le craignait celui-là, qu’il était un peu fou —s’était par exemple mis sans raison à détester un musicien aveugle qui, ayant perdu sa femme à New York, était revenu à Lyon et jouait désormais parfois sur le parvis de la basilique, ce musicien étant son ami à papy—, ce fait-là, donc, finit de nous conforter dans l’idée que le papy de Fourvière squattait souvent les lieux, à la recherche de touristes à qui faire découvrir les environs. Et franchement, tant mieux. C’était une belle rencontre, une belle visite. On avait rien demandé, on s’attendait à rien. Il nous a dispensé le meilleur cours d’histoire sur Lyon que j’ai eu l’occasion de prendre, le plus complet (je vous promets que j’ai oublié de noter ici bien plus des deux tiers de tout ce qu’il nous a raconté, et en détail) depuis le lieu où l’on voit le mieux la ville. Sans rien nous demander en retour. Pour son plaisir, indéniablement, et pour le notre, pour notre curiosité. Il y avait le savoir encyclopédique, mais aussi l’humour, l’analyse critique, et parfois politique (au sens politique municipale du terme), et de l’humain. Le beau, le pas beau, le drôle, le triste. Tout ça était complet. Et après tout, s’il est à la retraite depuis plus de vingt ans, à Lyon depuis presque soixante-dix ans, encore capable de gambader encore comme un jeunot (il marchait plus vite que nous), faire guide gratuit pour des gens avides d’en apprendre plus sur le site alors que, comme il le disait, la moitié des choses intéressantes ne sont pas signalées, c’était une sacrément bonne idée.

Si j’avais été seul, je serai resté la journée entière à crapahuter avec lui dans tout Lyon et à l’écouter me raconter et l’histoire officielle et ses souvenirs. Il a été un peu déçu, ça s’est vu, quand on lui a dit qu’on devait y aller après qu’il nous a proposé de nous emmener au cœur des ruines romaines pour prolonger la visite, mais il n’a pas du tout insisté. Comme je disais, il ne tenait pas à s’imposer. Il proposait. On a fini par prendre le funiculaire tous ensemble et, une fois arrivés dans le Vieux Lyon, prétextant que lui aussi avait des choses à faire, il est parti de son côté après nous avoir indiqué où l’on pourrait manger. On a dû passer presque deux heures en sa compagnie en tout. Il ne nous a pas dit son nom, ne nous a pas demandé le notre. C’était une rencontre comme il devrait s’en faire plus souvent.

Si vous passez à Fourvière, cherchez donc un papy, casquette et lunettes de soleil, fine moustache, et si vous le trouvez, demandez-lui s’il connait un peu les environs. Prévoir une bonne demi-journée.

#257 – Lyonniais #082 – Fatiguance

Soyons bref. Depuis hier 16h30 nous crapahutons, mon amie et moi, dans tout Lyon pour faire visiter la ville à mes parents. Guillotière, Bellecour, Vieux Lyon, Fourvière, Croix Rousse, Terreaux, Cordeliers… Trois repas pris ensemble, trois restaurants, aucun plat végétarien. Disons que ça me fait une pause dans mes habitudes. C’était l’occasion de goûter les spécialités Lyonnaises que je m’interdis d’ordinaire. Bon mais là c’est trop d’un coup. Pâté en croute et saucisson Lyonnais dans un même repas, je suis au bord de la crise de foie. Pardon, les autres animaux, si un jour vous me bouffez, je n’aurais vraiment pas de quoi crier à l’injustice. Si vous m’enfermez en cage et me torturez une vie entière avant de me bouffer non plus.

Bon je voulais particulièrement vous parler du petit vieux de Fourvière, mais ça attendra demain ou après-demain. Ça fait deux journées de dix heures de marche et de grosses bouffes dont j’ai pas l’habitude, je suis éclatouille. Disons que j’ai appris pas mal de trucs sur Lyon grâce à un papy croisé au hasard et que ça m’a un peu redonné le goût de découvrir la ville. Il est donc bien possible que vous appreniez enfin quelque chose sur la ville de Lyon sur ce blog. Enfin… dans deux trois articles avant que ça ne me gonfle à nouveau quoi.

J’aurais également pu vous parler du fait que pour la première fois depuis plus de vingt ans je ne me suis pas pris la tête avec mes parents, mais ça ne vous regarde pas vraiment, et puis je ne les raccompagne à la gare que demain midi, il y a donc largement le temps de ne pas homologuer ce record.

Bon allez, il est 23h, je vais me coucher. Sur le dos. Sur le ventre je pense que je pourrais exploser.

#180 – Lyonniais #007 – Ennemond Gaultier, compositeur presque Lyonniais

Hier, je me suis mis en tête de vous causer, de temps à autres, de compositeurs et compositrices Lyonniais·es. Pas de contemporains, quoi que ça pourrait venir (c’est qu’il faut bien le remplir ce blog et qu’à la longue je risque d’être à sec niveau sujets), mais des vieux et des vieilles ! Et c’est comme ça que je suis tombé sur Gaultier le Vieux. Enfin, Gaultier de Lyon. Enfin, Ennemond Gaultier. Ouais… On y reviendra.

Donc, au hasard de mes recherches, je trouve deux partitions pour clavecin issues du Manuscrit Bauyn. Un vieux recueil de pièces pour… Pour…? Clavecin. Très bien. Alors, les titres… Sarabande de Mr Gaultier et Canaries de Mr Gaultier. Okay. Apparemment, c’est pas ses morceaux les plus connus, d’autres de ses compositions portent le même nom, mais a priori ce ne sont pas les mêmes. Voyons voir ce que ça donne. Je lance mes logiciels de musique et je commence à y recopier note par note les partitions. Entre temps, je suis allé faire un petit tour sur Wikipédia où j’apprends que ce brave Ennemond n’était pas du tout claveciniste, mais luthiste. Bon, mais après tout, on peut très bien jouer d’un instrument principal tout en composant pour n’importe quel autre instrument.

Une fois la sarabande notée dans mon logiciel, j’y colle donc un beau son de clavecin et je lance le playback. Hum. C’est pas beau. Ça ne sonne pas clavecin du tout. Mettons-y un son de luth, et quelques percussions vite faites. Et maintenant ?

Ennemond Gaultier – Sarabande du Manuscrit de Bauyn

Ça passe un peu mieux. Alors, oui, vous allez me dire que normalement, une sarabande, c’est plus lent que ça. Hein que vous allez me le dire ? Allez-y, dites le moi. Ah ! Et bien vous vous plantez. Vous n’aviez qu’à mieux vous documenter, ou, comme moi, simplement lire en vitesse quelques infos sur Wikipédia. La sarabande, donc, est à la base une danse rapide qui nous vient d’Espagne ou d’Amérique du Sud, on sait pas bien. On ralentira son tempo au cours du temps, mais on estime qu’à son introduction en France, entre les années 1620 et 1630, elle est encore rapide et ne deviendra la sarabande lente, on pourrait dire baroque, qu’à partir des années 1700 environ. Or, Gaultier vit de 1575 à 1651. Et toc. Bon oui, d’accord, la sarabande serait originalement supposée être accompagnée de castagnettes et moi j’ai mis des sortes de tambourins. Ben d’une j’avais pas de castagnettes sur mon logiciel, et de deux c’est pas parce que dans l’Espagne du XVIe siècle elles étaient accompagnées de castagnettes qu’elles l’étaient également en France au XVIIe siècle. Et re-toc.

Une fois la sarabande terminée, je m’attaque aux canaries. Ce n’est qu’un morceau hein, très court d’ailleurs, ça s’appelle canaries avec un s, mais c’est une seule pièce. Le moyen français c’est relou. Là, pareil, je refais bien toute la partition dans mon logiciel, j’y fous du clavecin… et c’est de la merde. Je repasse en son de luth et voilà ce que ça donne :

Ennemond Gaultier – Canaries du Manuscrit de Bauyn

Certains clavecins disposent d’un jeu luthé, c’est-à-dire qu’une petite barrette couverte de feutre ou de cuir qui vient s’appuyer sur les cordes pour en étouffer le son et donner l’impression qu’on joue du luth, il est donc possible que ces deux pièces aient été composées pour qu’on les joue de cette façon (sauf que j’ai pas cette option sur mon logiciel), mais il est également possible que ce soit des adaptations pour clavier de tablatures pour luth. Et oui au passage, les tablatures, ça remonte à loin, ce ne sont pas les « partitions pour les nuls » que beaucoup se figurent.

Les canaries donc, ou la canarie plutôt, est encore une fois une danse avant tout. Que nous dit Wikipédia en français ? Vraiment pas grands chose. Et en anglais ? À peine plus. Et en allemand ? Ah, là y a de l’info, là c’est pointu ! Seulement je cause pas allemand, enfin plus que très mal. Ce que j’ai réussi à comprendre de tout ça, c’est que c’est une danse qui nous vient des îles Canaries, qui a été très populaire en Europe au XVIe et au XVIIe siècles, et que généralement son tempo est plus rapide que celui d’une gigue. Et démerdez-vous avec ça. Je pense du coup que ma version n’est pas assez rapide, mais écoutez hein, ils n’avaient qu’à être plus précis dans les instructions sur la partition. Déjà qu’on n’est pas sûrs que ce soit une pièce pour clavecin à la base, et qu’on n’est même pas sûrs que ce soit Ennemond Gaultier et pas son cousin Denis, qui était aussi luthiste, le compositeur de ces deux morceaux ! Faudrait voir à faire un effort.

Est-ce qu’au moins ce Gaultier de Lyon est véritablement de Lyon, hein ? Ben non pardi ! C’est qu’il me ruine ma note de blog ce mec-là. Pour la peine on va l’appeler par son autre surnom, Gaultier le Vieux, ça lui fera les jambes. Gaultier le Vieux, donc, est né à Villette-Serpaize (à une petite trentaine de kilomètres de Lyon) en 1575 et serait mort à Les Nèves, qui serait aujourd’hui Salaise-sur-Sanne (à une bonne soixantaine de kilomètres de Lyon) en 1651. Niveau carrière : on dit qu’il aurait été page chez Antoinette de La Marck, Dame de Monsmorency, à l’age de sept ans ; on dit aussi qu’il aurait fait son apprentissage entre Toulouse et Pézenas, mais on dit également qu’il aurait d’abord travaillé à Lyon avant d’entrer au service de Marie de Médicis en 1620. Bref, on en dit des choses, et des choses pas sourcées. Vous voyez, c’est vraiment le merdier, et moi je ne suis qu’un simple blogueur, ni journaliste ni chercheur, qui s’est donné pour objectif de torcher un article par jour, alors ne comptez pas en apprendre plus ici parce que j’ai plus le temps. C’est déjà bien beau qu’on l’ait pas totalement oublié, Gaultier le Vieux pas vraiment de Lyon.

#177 – Lyonniais #004 – Ces rues de Lyon qui changent de nom et de genre

Aujourd’hui, après nous être levés à six heures du matin mon amie et moi, je suis allé marcher un peu. Six heures !! vous vous dites. Et oui. Nous sommes à la fois la France qui se lève tôt et les assistés au RSA. Certains ou certaines pourraient y voir un paradoxe, maiz-ilz-et-zelles se tromperaient. C’est que nous sommes de vraies raclures, le vice dans le sang je vous dis : si on se lève si tôt, c’est pour pouvoir profiter au maximum de nos journées à ne rien branler. Les heures qu’on passe à dormir, c’est de la bonne oisiveté perdue. Confiture aux cochons. Allons, allons ! Calmez-vous ! Reposez ce stylo Sarko 2012 et rangez ce pins du medef… je vais tout vous expliquer, vous n’allez quand même pas risquer la taule pour ça, non ? Tout ça c’est des blagues, vous vous en doutiez bien. Mon amie devait parcourir des kilomètres pour effectuer en stage dans le but de travailler un jour *tousse-traîtresse à la cause-tousse-tousse*, et moi je me suis simplement levé par solidarité. Bon, où j’en étais ? Ah oui, je suis sorti marcher. Comme souvent. J’adore marcher. Et depuis que j’habite ici, j’ai souvent tendance à partir du côté du Vieux Lyon. Pour ça je traverse le pont de la Guillotière, puis tout droit par Bellecour —sans jamais y jeter un œil, il paraît que c’est le kilomètre 0 de Lyon, mais pas que ! c’est également le degré 0 de l’esthétique. Remarquez, avec un nom pareil on ne peut que décevoir—, et enfin y a plus qu’à se farcir le pont Bonaparte à l’entrée duquel (côté Quai des Célestins) on peut parfois écouter et regarder un bonhomme jouer de l’orgue de barbarie.

Je marchais, donc, en me demandant ce que j’allais bien pouvoir vous raconter sur ce blog parce que je ne peux pas vous faire le coup de la panne d’inspiration chaque jour, quand je tombai sur une rue qui venait d’être renommée. Le coup de bol quoi !

Sur le coup, je me dis : chouette ! Je vais essayer d’en trouver d’autres, et quand j’en aurais pas mal, je ferai un article sur les nouvelles vieilles rues du Vieux Lyon. Rien qu’à le lire, vous voyez bien que c’est une bonne idée. Bon, mais au final ce n’est pas ce que j’ai fait. Je me suis aussi dit : c’est vrai qu’il y a beaucoup d’églises ici et qu’on m’avait prévenu que c’était le fief des cathos, alors peut-être qu’au fond ce n’est pas si mal de commencer à lentement déreligieusiser (je sais) les lieux publics en donnant le nom d’un écrivain à l’ancienne rue des Prêtres. Notez que je n’ai rien contre les religions, mais bon, puisque c’est souvent sujet à tensions, si on peut trouver autre chose… Seulement comme je viens de m’apercevoir du fait que le titre de cet écrivain était Monseigneur, je me demande si ma remarque était bien pertinente.

Enfin, bon, et puis j’avance d’une, deux centaines de mètres, pas plus, et là ! sur quoi est-ce que je tombe ? Une nouvelle rue renommée. Et oui. L’univers avait entendu ma demande, le cosmos m’avait répondu, il me tapait sur l’épaule et me disait : t’es pas tout seul mon vieux, t’es pas tout seul…

Bon, okay, ça ne fait pas aussi officiel. Ou alors la mairie est vraiment dans la merde financièrement. Mais non, vu le quartier, c’est pas possible. Il s’agit donc sans doute d’une démarche féministe. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet dans ses moindres détails, car d’autres l’ont fait bien mieux je ne le pourrais, mais ils s’agit de rendre les femmes un peu plus visibles dans notre société, dans nos espaces publics. Ce genre d’actions a déjà été mené à Lyon en 2014, puis à Paris en 2015 et à Montpellier en 2016 (qui d’ailleurs semble avoir convaincu la municipalité) par l’association Osez le féminisme ! L’un de ces articles nous informe aussi du fait que dans notre beau pays où « égalité » s’étale en lettres capitales sur le fronton de nos mairies, 2% seulement des noms de rues sont celles de femmes retenues par l’Histoire. Aux dernières nouvelles, les femmes constituent 49,6% de la population mondiale. Vous voyez où on veut en venir à peu près du coup ?

Les pas jouasses qu’auraient du beurre à la place de la culture et qui l’étaleraient donc en conformité au bon mot dont je ne me souviens plus mais qui est très connu en clamant que si on retient plus souvent les grands hommes de l’Histoire que les grandes femmes, c’est parce qu’elles sont moins nombreuses devraient y réfléchir à plusieurs fois avant d’ouvrir leur claque-merde. C’est justement cette erreur de raisonnement que ces actions démontent en montrant qu’on pourrait aisément rendre un hommage à une femme illustre pour chaque rue, place ou MJC, ou stade ou quoi ou qu’est-ce, que compte une ville. Et même, on pourrait faire le pari que pour chaque rue, on pourrait même rendre hommage à deux femmes.

Mais ménageons les angoissés d’un non-respect de la parité inversé dans un avenir proche : il n’a jamais été question au cours de ces démarches de faire disparaître les noms masculins de petites plaques bleues ou blanches (ou vertes… je ne sais pas s’il y a d’autres couleurs encore. Y a-t-il une norme des plaques de noms de rues ? C’est à chercher). Bien qu’à La Ville-aux-Dames, près de Tours, ce soit le cas (bel article à ce sujet) et que personne ne trouve à s’en plaindre. À Perpignan par contre, loin des 100% de noms de femmes, nous sommes à 1%.

Espérons donc que ces petites plaques choquent moins les quelques angoissés du grand remplacement du masculin par le féminin qu’elles ne rappelleront à tout le monde qu’on oublie encore trop souvent les femmes qui par le passé ont contribué à faire de notre présent ce qu’il est, et qu’il est temps de corriger la mauvaise manie des chroniqueurs et queuses de l’Histoire de n’accorder qu’au masculin les honneurs posthumes. Temps également de casser la triste habitude d’envisager l’Histoire uniquement comme l’histoire des gouvernements, des armées et des religions —domaines majoritairement conçus comme chasse gardée des hommes— et non celle des folklores, des arts populaires, des actions sociales et solidaires spontanées, des sciences et de la recherche sur le terrain, de l’enseignement et de l’éducation avec les moyens du bord, bref, l’histoire de toutes celles et ceux qui, plus ou moins anonymement, ont simplement vécu. Femmes comme hommes, sans distinction.

Aung San Suu Kyi, hein ? Ouais, bon, les rebaptiseuses et/ou rebaptiseurs auraient pu trouver un peu moins dictatorial comme exemple, mais après tout, il y en a sans doute aussi, inscrits sur des plaques, des noms de bonhommes qui ont chié sur l’humanité de leur vivant pour ne favoriser qu’une petite partie bien délimitée de celle-ci. À Montpellier, Georges Frêche, qui lui même n’était pas un saint, nous à bien gratifié d’une place du XXe Siècle où les statues de Nelson Mandela et de Gandhi côtoient celles de Lénine et de Mao Zedong… Et lui ne s’est pas contenté d’inscrire leurs noms sur une feuille à carreaux à ses propres frais. Non. Il a fait sculpter dix statues en bronze avec du bon argent bien public. D’ailleurs, cette place du XXe Siècle, on l’appelle aussi place des Grands Hommes, sans doute pour la bonne raison qu’une fois de plus une seule femme pour neufs hommes est représentée, et il s’agit de Golda Meir. Alors bon, Aung San Suu Kyi ? Ça n’aurait pas été mon choix, mais pourquoi pas. La Birmanie, je n’en sais vraiment pas grand chose, et au premier coup d’œil il m’est difficile de comprendre quel rôle joue réellement cette personne dans sa région du monde.

Au passage, ces plaques de rues artisanales me touchent d’autant plus que les personnes les ayant posées n’ont pas attendu une journée internationale des droits des femmes, ou un quelconque rassemblement (à ce que je sache), et n’avaient visiblement pas de grands moyens. Elles l’ont juste fait avec ce qu’elles avaient sous la main. Peut-être même que cette personne était seule. Bravo, donc. J’applaudis des deux mains (quelle expression à la con), et j’espère que vous en faites de même derrière votre petit écran d’ordinateur.

Je repense à la plaque d’Aung San Suu Kyi et je me dis que, de toute façon, le principe de l’égalité homme-femme-autre, c’est bien aussi que chacun·e ait le droit d’être aussi con·ne, aussi méchant·e, aussi arrogant·e, aussi opportuniste, aussi manipulatrice·teur, que son voisin ou sa voisine. Bien sûr qu’on souhaiterait que toute cette tolérance enclenche une sorte de cercle vertueux, mais bon… Enfin, chacun·e devrait également avoir le droit d’être aussi bisounoursiste que sa voisine ou son voisin, non ? Quoi qu’il en soit, en vérité, moi, grands hommes ou grandes femmes et honneurs posthumes hein, dans l’absolu, j’en ai rien à carrer. Les gens de pouvoir, les personnes qui veulent influencer les masses, marquer l’histoire… ils et elles me sont suspects, de base. Après, faut voir au cas par cas… Non, sans déconner, ça me travaille beaucoup trop cette plaque Aung San Suu Kyi. Faut que j’arrête d’y penser. Vous n’êtes pour l’instant pas très nombreux·ses à lire ce blog (peut-être parce qu’on n’en est qu’au quatrième billet et que j’ai laissé tomber l’écriture quatre mois entre le précédent blog et celui-ci) mais si ça invoque une envie pressante de vous exprimer, n’hésitez pas à vous soulager dans la section des commentaires, c’est fait pour ça.

Anecdote à la con pour conclure ce billet bien fourni : il y a quelques années, je voulais écrire un scénario de B.D. ou de court-métrage dans lequel il aurait été révélé que le ras-de-marée d’émissions de télé-réalité complètement pourries sous lequel nous avons été englouties·s ces quinze dernières années était en réalité non pas la conséquence d’une volonté conjointe des chaînes de télévisions et des annonceurs publicitaires de faire un max de pognon, mais bien une tentative des municipalités et des constructeurs de faire émerger de nouvelles célébrités le plus rapidement possible afin de pouvoir nommer les centaines de milliers de rues et d’immeubles nouvellement créés chaque année, l’Histoire ne suffisant plus à en fournir en quantité nécessaire au rythme où bâtissent nos sociétés modernes. Hélas, ce scénario est rendu caduque par le fait que désormais nous constatons toutes et tous que si l’on venait à manquer de noms, il suffirait de commencer à choisir du côté de l’humanité né avec une paire d’ovaires —aujourd’hui, et au dernières estimations, cette part de représenterait environ 3,7 milliards d’individus, ça devrait amplement suffire même si on s’interdisait de taper dans les personnes décédées—, et cette constatation, qui fait voler en éclat mon petit scénario, nous la devons aux féministes. Décidément, elles sont toujours là pour faire chier celles-là.

 Allez, à demain. La bise.