Aujourd’hui je m’y prends tôt. En fait on pourrait dire que j’expédie, car j’ai toujours le nez plongé dans les vocaloids et je compte bien l’y laisser. À la différence que maintenant fini les pipi-caca. Je commence à entamer les grands travaux. C’est fou ce qu’on peut faire avec ce machin. De la pop à deux ronds comme d’harmonieuses polyphonies qui feraient se lisser les bacchantes au plus fortuné des aristocrates. C’est pour l’image. Les polyphonies, ce n’est pas de la musique d’aristocrate, ça se retrouve dans beaucoup les cultures, et c’est une façon très populaire de chanter ensemble. Je précise parce que j’ai en tête une discussion en ligne ou ça causait de musique et cinéma, et ou quelqu’un dont j’ai oublié le pseudo pointait très justement du doigt le fait que c’était toujours les méchants fortunés qui écoutaient de la musique classique. Essayons donc de nous départir de ces mauvais réflexes. La polyphonie, c’est tout simplement deux personnes ou plus qui chantent ensemble mais pas les mêmes notes. Ça donne très rapidement quelque chose d’émouvant.
Je ne vous l’ai pas expliqué, mais vocaloid, c’est tout d’abord un logiciel. Un séquenceur midi. Seulement il y a aussi les vocaloids, ou loids, qui sont des chanteuses et chanteurs virtuel·les. Il y en a beaucoup. Pour tous les goûts, j’ai envie de dire. Même si je pense que le simple fait que les voix soient factices et pour la plupart chantent en japonais en rebutera plus d’un très vite. Tant pis pour celles-ci et ceux-là, z’ont pas les oreilles assez élastiques. Il y a donc des voix masculines, des voix féminines, des voix haut-perchées et d’autres tout dans les graves. Il y a des voix cassées, des voix cristallines, des faites pour le rock, d’autres pour les berceuses. Vous vous rendez compte de la manière dont je qualifie de fausses voix générées par des ordinateurs ? Allé, je vais vous en donner un petit exemple. Sans aucun mot, juste des [ä].
Alors ? Là je n’ai même pas bidouillé les paramètres. C’est ce qui sort directement avec cet·te artiste virtuel·le androgyne quand on place les notes qu’on veut où on le veut. Et on peut vraiment bidouiller. Ça fait réfléchir sur l’avenir de la synthétisation des voix hein ? Car ce n’est que le début. Ça doit aussi effrayer quelques chanteurs et chanteuses de certains milieux de la pop. Moi ça va, je ne suis pas chanteur, alors je m’en fiche.
Bref, tout ça pour vous dire que j’y retourne, et pour vous expliquer pourquoi hier j’ai oublié d’écrire et n’ai posté la note qu’in extremis, un quart d’heure avant minuit. C’est que je suis tout entier accaparé par ce nouveau jouet.
…quand on raconte parfois qu’on a presque oublié d’écrire sur le blog, mais aujourd’hui c’est vrai. Il est 23h35 et mon amie me dit : « Tu as écrit ta note de blog ? » Euh… Non. C’est qu’après les logiciels de montage, que je continue d’utiliser bien que l’inspiration s’amenuise, j’ai encore trouvé un nouveau joujou. Je vous en avais peut-être déjà causé ici ou là, il s’agit des vocaloids. Ce sont des synthétiseurs qui permettent de faire chanter votre ordinateur d’une manière plus ou moins naturelle. Pour l’instant surtout en japonais et en anglais. Je connaissais de nom, mais là… Je n’en avais jamais eu sous la main jusqu’à aujourd’hui. Vous imaginez donc qu’avec un truc pareil à expérimenter je n’ai pas pensé au blog. J’étais trop occupé à faire chanter à v4flower : カカアアアアアアア, ピピイイイイイイイ. Cherchez pas. C’est phonétiquement « caca » et « pipi » dans l’un des syllabaires japonais. Ben oui, je m’y connais pas encore assez en japonais pour fignoler des paroles comme il faut en même temps que je compose et que je teste toutes les possibilités du machin, alors je fais avec ce qui me vient. Ouais… Ce qui me vient tout de suite, c’est caca et pipi… Ben je sais pas quoi vous dire. Je fais chanter des polyphonie à mon ordinateur sur des paroles scato et, honnêtement, je trouve ça fabuleux.
Hier, je me suis mis en tête de vous causer, de temps à autres, de compositeurs et compositrices Lyonniais·es. Pas de contemporains, quoi que ça pourrait venir (c’est qu’il faut bien le remplir ce blog et qu’à la longue je risque d’être à sec niveau sujets), mais des vieux et des vieilles ! Et c’est comme ça que je suis tombé sur Gaultier le Vieux. Enfin, Gaultier de Lyon. Enfin, Ennemond Gaultier. Ouais… On y reviendra.
Donc, au hasard de mes recherches, je trouve deux partitions pour clavecin issues du Manuscrit Bauyn. Un vieux recueil de pièces pour… Pour…? Clavecin. Très bien. Alors, les titres… Sarabande de Mr Gaultier et Canaries de Mr Gaultier. Okay. Apparemment, c’est pas ses morceaux les plus connus, d’autres de ses compositions portent le même nom, mais a priori ce ne sont pas les mêmes. Voyons voir ce que ça donne. Je lance mes logiciels de musique et je commence à y recopier note par note les partitions. Entre temps, je suis allé faire un petit tour sur Wikipédia où j’apprends que ce brave Ennemond n’était pas du tout claveciniste, mais luthiste. Bon, mais après tout, on peut très bien jouer d’un instrument principal tout en composant pour n’importe quel autre instrument.
Une fois la sarabande notée dans mon logiciel, j’y colle donc un beau son de clavecin et je lance le playback. Hum. C’est pas beau. Ça ne sonne pas clavecin du tout. Mettons-y un son de luth, et quelques percussions vite faites. Et maintenant ?
Ça passe un peu mieux. Alors, oui, vous allez me dire que normalement, une sarabande, c’est plus lent que ça. Hein que vous allez me le dire ? Allez-y, dites le moi. Ah ! Et bien vous vous plantez. Vous n’aviez qu’à mieux vous documenter, ou, comme moi, simplement lire en vitesse quelques infos sur Wikipédia. La sarabande, donc, est à la base une danse rapide qui nous vient d’Espagne ou d’Amérique du Sud, on sait pas bien. On ralentira son tempo au cours du temps, mais on estime qu’à son introduction en France, entre les années 1620 et 1630, elle est encore rapide et ne deviendra la sarabande lente, on pourrait dire baroque, qu’à partir des années 1700 environ. Or, Gaultier vit de 1575 à 1651. Et toc. Bon oui, d’accord, la sarabande serait originalement supposée être accompagnée de castagnettes et moi j’ai mis des sortes de tambourins. Ben d’une j’avais pas de castagnettes sur mon logiciel, et de deux c’est pas parce que dans l’Espagne du XVIe siècle elles étaient accompagnées de castagnettes qu’elles l’étaient également en France au XVIIe siècle. Et re-toc.
Une fois la sarabande terminée, je m’attaque aux canaries. Ce n’est qu’un morceau hein, très court d’ailleurs, ça s’appelle canaries avec un s, mais c’est une seule pièce. Le moyen français c’est relou. Là, pareil, je refais bien toute la partition dans mon logiciel, j’y fous du clavecin… et c’est de la merde. Je repasse en son de luth et voilà ce que ça donne :
Certains clavecins disposent d’un jeu luthé, c’est-à-dire qu’une petite barrette couverte de feutre ou de cuir qui vient s’appuyer sur les cordes pour en étouffer le son et donner l’impression qu’on joue du luth, il est donc possible que ces deux pièces aient été composées pour qu’on les joue de cette façon (sauf que j’ai pas cette option sur mon logiciel), mais il est également possible que ce soit des adaptations pour clavier de tablatures pour luth. Et oui au passage, les tablatures, ça remonte à loin, ce ne sont pas les « partitions pour les nuls » que beaucoup se figurent.
Les canaries donc, ou la canarie plutôt, est encore une fois une danse avant tout. Que nous dit Wikipédia en français ? Vraiment pas grands chose. Et en anglais ? À peine plus. Et en allemand ? Ah, là y a de l’info, là c’est pointu ! Seulement je cause pas allemand, enfin plus que très mal. Ce que j’ai réussi à comprendre de tout ça, c’est que c’est une danse qui nous vient des îles Canaries, qui a été très populaire en Europe au XVIe et au XVIIe siècles, et que généralement son tempo est plus rapide que celui d’une gigue. Et démerdez-vous avec ça. Je pense du coup que ma version n’est pas assez rapide, mais écoutez hein, ils n’avaient qu’à être plus précis dans les instructions sur la partition. Déjà qu’on n’est pas sûrs que ce soit une pièce pour clavecin à la base, et qu’on n’est même pas sûrs que ce soit Ennemond Gaultier et pas son cousin Denis, qui était aussi luthiste, le compositeur de ces deux morceaux ! Faudrait voir à faire un effort.
Est-ce qu’au moins ce Gaultier de Lyon est véritablement de Lyon, hein ? Ben non pardi ! C’est qu’il me ruine ma note de blog ce mec-là. Pour la peine on va l’appeler par son autre surnom, Gaultier le Vieux, ça lui fera les jambes. Gaultier le Vieux, donc, est né à Villette-Serpaize (à une petite trentaine de kilomètres de Lyon) en 1575 et serait mort à Les Nèves, qui serait aujourd’hui Salaise-sur-Sanne (à une bonne soixantaine de kilomètres de Lyon) en 1651. Niveau carrière : on dit qu’il aurait été page chez Antoinette de La Marck, Dame de Monsmorency, à l’age de sept ans ; on dit aussi qu’il aurait fait son apprentissage entre Toulouse et Pézenas, mais on dit également qu’il aurait d’abord travaillé à Lyon avant d’entrer au service de Marie de Médicis en 1620. Bref, on en dit des choses, et des choses pas sourcées. Vous voyez, c’est vraiment le merdier, et moi je ne suis qu’un simple blogueur, ni journaliste ni chercheur, qui s’est donné pour objectif de torcher un article par jour, alors ne comptez pas en apprendre plus ici parce que j’ai plus le temps. C’est déjà bien beau qu’on l’ait pas totalement oublié, Gaultier le Vieux pas vraiment de Lyon.
Hier, c’était soirée jam session, et scène ouverte, et re-jam session. Pas forcément dans cet ordre. Vous avez du temps devant vous ? Allez, tirez-vous une bûche, je vous explique.
Scène ouverte d’abord, à la Petite Scène. Je venais de me faire Manuel (Il Figglio) au Diagonal —très bon film. Un chouia déprimant. Je dis un chouia pour pas vous décourager d’y aller. Rythme lent, belle image, réaliste. Allez-y, allez-y pas, j’ai rien à vendre. Moi j’ai aimé. Toujours est-il qu’en sortant de là j’avais pas les yeux qui criaient l’amour de la vie (je sais bien que ça ne veut rien dire)—, j’avais besoin d’un petit remontant. Direction, donc, le bar dont je vous ai causé trois lignes plus haut. Relisez lentement en vous aidant du doigt si vous avez du mal à suivre. Arrivé là, je commande le sempiternel jus de tomate et je m’installe avec mon bloc note à la seule table de libre près de la scène. Ça commence.
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Le premier des trois musiciens inscrits ce soir-là, c’est Ravi Johanis. Il vient d’Allemagne et m’expliquera plus tard qu’il a déjà fait un séjour à Montpellier dont il garde un bon souvenir, notamment grâce aux jam sessions sauvages alors spontanément organisées sur le parvis de l’église Saint Roch. C’était le bon temps.
Il saute en scène seul avec sa gratte électrique. Surprise. Le petit malin avait préparé une backing track pour l’accompagner. Très minimaliste mais pile ce qu’il fallait : basse et batterie légère : grosse caisse, caisse claire cross-stick, quelques cymbales. Premier morceau. Le son de gratte est superbe. Beau clean, avec du gain juste ce qu’il faut. Il a du feeling, de jolis licks. Y a de la rondeur et de la tension. Le morceau parle de you’re beautiful si je me souviens bien. Le second de need to see my love again, le troisième j’ai pas fait gaffe aux paroles, j’ai été beaucoup plus entraîné par la musique. Le style reste le même au cours des trois morceaux, mais c’est de plus en plus rythmé, ça gagne en complexité.
Quel style ? Hmm. Vous savez, quand je parle de musiciens, j’aime pas les comparer à d’autres, et j’aime pas les étiqueter genristiquement parlant. Je préfère décrire. Oui, mais voilà, je suis pas expert dans toutes les techniques et j’ai une culture musicale limitée, alors je vais dire ce que ça m’évoquait comme genre, car je n’ai pas peur de me contredire : blues moderne teinté de soul avec un arrière goût rootsy. Ou bien soul minimaliste saupoudrée d’un zeste de roots mais très bluesy. Ou encore quelques rythmiques un peu roots, un feeling général blues, mais pas oldscool , le tout un peu souly. Et démerdez-vous avec ça.
Quel ressenti général ? De très beaux morceaux, de jolies ambiances qui évoquent douceur et tranquillité, tout en faisant bien hocher la tête. Parfait pour un premier jour de printemps, et pour l’été qui suivra. On se demande pourquoi les morceaux durent pas plus longtemps, ils sont vraiment très courts, parce qu’une fois dedans on y est bien, on a envie d’y rester. J’ai pas parlé de la voix. Car Johanis chante également. C’est peut-être la partie qui mérite encore un peu de travail, les idées sont là, l’intention aussi, mais ça manquerait un tout petit peu de maîtrise. Après vous savez comment c’est, premier sur scène, à froid, un soir où personne ne vous attend vous particulièrement, il y a de quoi avoir les cordes vocales frileuses, d’autant qu’il faisait vraiment pas chaud, ça n’aide pas.
Vous n’avez pas le début du bout de la pointe de l’extrémité d’une idée de ce que tout ça peut bien donner en lisant mes baragouineries, pas vrai ? Alors, d’une, vous aviez qu’à y être, et de deux, vous pouvez allez l’écouter sur son soundcloud.
Johanis m’a dit qu’il comptait bien tourner plus souvent dans le coin, je n’ai pas eu la jugeote de lui demander s’il restait longtemps en ville, lui en tout cas a eu la gentillesse de m’offrir l’une de ses démo. Merci beaucoup, c’est super sympa. Sympa, d’ailleurs, le mec l’est très. Si, c’est français comme phrase. Il a pris le temps de saluer tout le monde, d’annoncer tous les musiciens qui allaient suivre, et de remercier encore une fois tout le monde. Donc, Ravi, Johanis, de t’avoir rencontré. Si je l’avais pas faite vous auriez été déçus·es, mentez pas, je le sais.
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En parlant des musiciens suivants. En seconde partie, c’était Anthony. Ánthos. Flos Waldhari. Non ils sont pas trois, c’est juste pas facile de se décider sur un pseudo, et on le comprend. Z’avez qu’à relire mes premiers articles, vous comprendrez. Quels que soient ses noms, propres ou de collectif, son set m’a vraiment surpris.
Le mec se hisse sur la scène, guitare électro-acoustique cordes nylons en main. Devant lui une pédale à boucles et une pédale de reverb. Un micro aussi. Il commence, l’air de rien, par nous sortir une rangée de croches sur une seule note. Bon. La boucle part. Il entame une nouvelle série de notes identiques sur le même rythme qui ne paie pas de mine. Mais ça commence à harmoniser. Les boucles ne se remplacent pas les unes les autres, elles s’empilent. Une troisième. Une quatrième. Toujours l’harmonie s’enrichit. Toujours sur le même rythme quelques montées d’une gamme mineure harmonique maintenant. Bon, si ça s’arrêtait là, mais ça continue. Jusqu’à combien ? J’ai perdu le comte. Mieux encore, au milieu de tout ça il bidouille sa pédale, rajoute un delay qui décale toutes ces croches faites à un doigt sur une corde et jusque là synchronisées, ce qui, magie, crée un rythme flamenco hyper riche harmoniquement. La tension monte, l’ambiance gonfle et gonfle à mesure qu’il rajoute des couches jusqu’à ce que…
Patatras. Jusqu’à ce que tout foute le camp. Manque de bol, setup de scène ouverte plus accumulation de pistes avec delay oblige, son aigrelet de l’electro-nylonée aggrave, un larsen chopé à chaque passage, présent dans chaque boucle, commence à couvrir le morceau. C’était tolérable jusque ici, mais là, obligé de couper le son.
Pas grave on recommence. L’ambiance flamenco-western, donnant un tout assez baroque au final, reprend. Sans larsen cette fois. Là c’est le coup de grâce. Anthony-Ánthos-Flos-Waldhari-De-La-Vega-Morricone ajoute les voix. Encore des loops, une voix, deux, trois, quatre, je sais plus combien, du grave au super aigu. La vache, un vrai chœur à lui tout seul. Ça claque. Je vous ai dit que j’aimais le baroque ? Ben voilà, on est en plein dedans. Y a du Cant de la Sibil·la là-dedans, un air de tempête avant la fin du monde. Le morceau s’appelle La Tormenta, d’ailleurs. Tout à fait adéquat.
Bon ça finit un peu brouillon pour la même raison que précédemment, voix sur voix se superposant, un peu du boucan ambiant est repiqué par le micro et s’amplifie à chaque boucle. Ça oblige à baisser le son encore une fois, dommage parce qu’on sent bien que c’est supposé enfler et enfler encore sans jamais s’arrêter jusqu’à devenir une énorme masse d’harmonies et de rythmes apocalyptiques. Bref J’ai hâte de revoir ça avec une meilleure sonorisation.
Le second morceau, une valse, dix minutes. On sent que c’est de la chanson à texte, mais en anglais, j’entends pas bien les paroles. Dommage. L’ambiance est toujours super cool. On découvre encore mieux la voix d’Ánthos, et c’est bon ! Je dirais que ce qui fait l’originalité de sa musique ce soir-là, c’est sa façon de se servir des boucles et du delay pour créer des rythmes complexes —des trilles au delay !—, créer des textures riches, parfois à la limite des nappes de synthèse granulaire, et sa voix. Ses voix. Quand il s’y met. Heureusement il s’y met plus souvent qu’il ne s’y met pas. Et puis rappelez-vous, scène ouverte, à froid, enfin z’avez pigé. Le mec à la sono lui dit que maintenant faut laisser sa place, y en a d’autres qu’attendent. Anthony, encore un gars sympa, accepte.
Vous ne voyez toujours pas ce que je veux peindre comme tableau avec mes tournures alambiquées qui font pas honneur à ? Voilà son soundcloud. Je sais pas s’il y a ce que j’ai entendu hier, j’ai pas encore eu le temps d’écouter. En tout cas si vous entendez dire qu’il passe dans le coin, allez-y voir, je suis sûr que ce sera intéressant.
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Normalement, c’est à peu près à ce nombre de mots que vous arrêtez de lire les articles. Ne niez pas, j’ai mes sources. Mais aujourd’hui, vous allez me faire le plaisir de faire un effort. On doit en être à un peu plus de la moitié, et il me reste encore de beaux moments musicaux et humains à raconter. Allez, entracte photo du jour, comme d’habitude, c’est Gwlad qui régale.
Vous êtes délassées·s ? On reprend.
Le troisième musicien à monter sur scène, c’est deux musiciens. L’un dont j’ignore totalement le nom, et le deuxième, je vous dis pas tout de suite, je fais durer le suspense. Le premier a une guitare electro-acoustique dans les mains, il en joue, chantonne, rapotte. Je ne sais pas s’il reprend des paroles de chansons existantes sur des accords à lui, ou si c’est écrit de son stylo bic. Toujours est-il que je préfère quand il chantonne, quand il rapotte ça fait laïus égotique virilo-macho_montre-muscle et fier de ses défauts. Encore une fois, c’est peut-être des reprises, mais si tu viens me chanter des discours de Sarkozy dans les oreilles, t’attends pas à ce que je vienne te dire que t’as une jolie voix. Bref, je préfère quand il chantonne en anglais. Je fais un effort quand même, purement musicalement, on voit que le mec est à l’aise avec sa gratte, y a de la nuance dans son jeu malgré les accords joués en boucle, et la scansion est bonne.
Le deuxième du duo, dont je garde le nom secret pour l’instant, essaie de trouver sa place au départ, il tente des hum hum discrets, et puis d’un coup d’un seul, dès que l’espace est enfin disponible, putain, ce qu’il envoie ! Voix profonde, sculptée, qui fait des pirouettes avec une aisance assez dingue, voix expérimentée qui joue sur les timbres et les textures. Ça dure pas longtemps, mais j’y entends du Nina Simone, du jazz lyrique. J’avais dit pas de comparaison à des genres ou des artistes hein ? Me renier, c’est ma passion. Enfin, tout ça ne dure que quelques secondes. Mais voilà les secondes…
Deuxième morceau, cette fois ce qu’il envoie c’est une impro proche du scat aux accents reggae, toujours avec cette voix, profonde et chaude, non je parle pas du vagin de maman, je sais que vous avez la nostalgie de mais restez concentrés·es s’il vous plaît. Bref, en quelques secondes à chaque fois, on a le temps de sentir que le mec cache une musicalité énorme.
Le mec à la sono leur dit que maintenant faut laisser sa place, y en a d’autres qu’attendent. Qui ça d’autres ? Ils étaient trois musiciens inscrits pour la scène ouverte, enfin quatre, puisqu’il y avait un duo. Le mec leur dit que les musiciens pour la jam session sont impatients de monter sur scène. Ah, c’est eux. Et oui, jam session dans une soirée scène ouverte. Daitman —voilà, c’est lâché, c’est son nom au super chanteur, Daitman Paweto. Connaissez pas ? Ben vous feriez mieux de le retenir et d’aller voir ce qu’il fait dès que vous en avez l’occasion, ce mec va devenir célèbre, et ce sera mérité—, demande s’il peut quand même faire une chanson avec une guitare avant de descendre, il a quasiment pas eu le temps de chanter en fait. Le mec-anguille lui répond pas franchement, d’un air de descends maintenant mais je te le dis pas les yeux dans les yeux, d’un air de les amateurs ont assez joué place aux pros, d’un air de la scène ouverte c’est terminé les minus, z’avez assez joué, maintenant c’est les jazzmen de cinquante balais qui jouent, les musicos respectables, faites place, comprenez, la clientèle tout ça, vont pas s’alcooliser longtemps si on leur met pas du jazz à papa dans les pattes. Franchement à ce moment-là j’étais sur le cul. Daitman résiste, même quand le pianiste sosie d’Alain Chamfort, orgueilleux au possible, monte sur scène en lui lançant « je suis pas payé pour accompagner les mecs qui viennent chanter leurs chansons ». Rien à foutre, Daitman le regarde du genre je t’ai rien demandé. Il est malmené, mais pas grave. Il leur dit que cette scène est faite pour être partagée, ouverte, jam session, non ? On aurait compris de travers ? Il demande un capodastre, les mecs l’envoient bouler du genre démerde-toi on veut pas de toi ici avec ta chanson, ta putain de seule petite chanson que tu veux chanter que ça prendra trois minutes mais c’est trois de trop pour nous. Heureusement, Ánthos est là, près de la scène, il en a un de capodastre, il le lui prête. Johanis remonte aussi sur l’estrade et prend la basse. Merci !! Le groupe improvisé joue, et il envoie, le Daitman. C’était bon. Au bout de deux chansons à accompagner les autres, il redescend de scène.
Je lui touche deux mots de ce qui vient de se passer, il trouve ça bête, mais il en fait pas une affaire, il a pu jouer, c’est tout ce qui a l’air de compter. Il me dit qu’il se tire à la Pleine Lune, en fait il est censé y être depuis une heure et demie, il était juste parti en ville pour acheter des clopes et s’est retrouvé embringué là. Je décide de le suivre. À la Pleine Lune, c’est aussi jam session, mais on verra que c’est un autre genre. Allez, c’est l’article le plus long que j’ai écrit jusqu’à aujourd’hui, mais je suis sûr que vous avez encore le courage d’en lire un peu plus, on y va.
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Sur le chemin, Daitman m’explique qu’il a trente ans, qu’il a commencé à monter sur scène à treize, qu’il a fait du rap, du reggae, du jazz, que maintenant il a trouvé son truc, son mélange, son effet à produire sur le public. Il m’explique sa vision de la musique, du groupe. Le mec a dix-sept ans d’artisanat zikal dans les jambes, il commence à savoir ce qu’il veut. Il avait ouvert un bar musical, mais des histoires familiales ont fait que. Aujourd’hui, il repart sur un nouveau projet. Il a remonté un groupe autour de lui. D’ailleurs, avant la Petite Scène, ils ont fait leur première répet en vue d’une série de concerts pour jouer l’album enregistré au Studio Vox et en cours de mixage. Ce que j’avais pressenti se confirme, il fait pas semblant Paweto Daitman.
On arrive à la Pleine Lune, c’est soirée Jam Session World Music, j’aime pas ce terme, World Music, ça sent la FNAC et le rayon CD du Super U. Sur scène, c’est aussi bondé que sur la piste de danse quand on déboule. Je saurais plus dire avec précision combien de musiciennes·s étaient présentes·s, mais comme ça je revois à notre arrivée : une clarinette, un sax, une trompette, un batteur, un violon, une basse, deux guitares, un clavier, une voix qui chante dans une langue arabe que je serais bien incapable de reconnaître. Y a une pêche d’enfer, les gens sont excités, ça danse, ça picole, ça se marre, ça dragouille, ça saute sur place. Et tous ceux qui veulent monter sur scène le peuvent. Même les gros relous bourrés. Ça, ça plaît pas trop à Ella.
Car oui, j’oubliais, sur place Daitman me présente des amies·s musiciennes·s à lui, Édouard que je n’ai pas vu jouer et dont j’ignore l’instrument de prédilection, Timothée le guitariste, et Ella la chanteuse. Tout ce petit monde est fort sympathique. Sont venus·es là pour la musique, pas se la coller. Chacun·e montera sur scène à un moment ou un autre. La musique, d’ailleurs, est un mélange hallucinant de toutes les sonorités possibles et pas imaginables, dans des combinaisons riches, surprenantes, et éphémères. La zik est improvisée à jusque douze musiciens·nes et chanteurs·ses, des morceaux qu’il fallait entendre sur le moment, car c’était la première et la dernière fois qu’on les jouerait dans l’histoire de l’univers.
Au niveau des voix : on a eu Ella qui à envoyé ses good vibes, d’une voix posée, calme, légèrement voilée, qui peut s’emballer d’un coup et partir dans les astres avec une apparente facilité. Apparente seulement, elle me le confirmera plus tard. On a eu Daitman, évidemment, toujours aussi bon. On a eu deux filles, toutes les deux dans une style soul-jazz, et dont j’ignore les noms. On a eu un rappeur, apparemment très souvent à l’ODB, grand, cheveux mi-longs attachés, le genre qui met l’ambiance, avec des textes qui appellent à l’empathie, comme son t-shirt, et une gueule qui appelle à être son pote. On a eu aussi un mec qui envoyait le salsifis, rap-reggae, textes humanistes, engagés.
Vous savez quoi ? Je vais arrêter là. Je suis sûr que vous n’en avez même pas lu la moitié, et je suis claqué. En tout cas, mon programme des mardis quand j’aurais rien prévu de particulier me semble maintenant tout trouvé. Petite Scène jusqu’à la fin de la partie scène ouverte pour voir les artistes de près et pouvoir échanger un peu ensuite, puis Pleine Lune pour finir dans une ambiance ouf.