Un certain commentateur persévérant remet tous les deux jours le sujet sur le tapis, et mon amie m’a également fait part de son envie de me voir traiter la question. Alors voilà : parlons POG, parlons bien.
Selon votre âge, le terme réactualisera chez vous de nostalgiques images de cour d’école ou ne vous dira absolument rien. De mon côté, le simple fait de lire ces trois lettres fait surgir de ma mémoire sacs bananes et croûtes aux genoux. J’appartiens donc à la première catégorie, celle qui était à l’école primaire quelque part entre 1990 et l’an 2000.
Pour les autres, de quoi parle-t-on ? On cause de petits disques de carton d’environ 5 cm de diamètre. Côté face, un dessin, côté pile, une marque. On peut les collectionner, les échanger, mais on peut également jouer aux POG. Dans ce cas, chacun·e ramène ses POG —de préférence dans un sac banane, comme je vous le disais, dont on aura vidé quelques unes des billes qui s’y trouvaient pour faire un peu de place à ce nouveau passe-temps—, puis on discutaille afin de décider lesquels chacun·e met en jeu : « moi je mets mon POG tête de mort qui brille, donc il vaut beaucoup, donc il faut que toi tu mets au moins deux POG qui brillent pas pour que ça le vale ». Ensuite, on monte une petite colonne en empilant les POG choisis par chaque participant·e, côté face vers le sol. C’est là qu’on sort les kinis. Un kini est un disque de plastique, cette fois, de même diamètre qu’un POG mais plus épais. Chacun·e va se servir de son kini en le balançant à tour de rôle sur la pile de POG. Après chaque lancé, la joueuse ou le joueur récupère les POG qu’il a réussi à faire se retourner côté face en l’air : elle ou il les a gagnés. On refait la pile, et on recommence jusqu’à ce que tous les POG aient trouvé un·e propriétaire.
Pour gagner plus facilement des POG, une technique consistait à ne pas jouer soi-même, mais à faire discrètement le tour des bananes restées ouvertes et sans surveillance par les joueurs et joueuses trop concentrés·es sur leur partie. Seulement il ne fallait pas oublier de se sentir un peu coupable ensuite, et surtout se souvenir de ne pas rejouer ces POG-là, sans quoi on se faisait pincer. Au propre comme au figuré.
Il y a quelques années, plein de nostalgie que j’étais, j’avais acheté sur eBaie une machine à fabriquer des POG ainsi qu’une dizaine de planches officielles de POG vierges. C’était encore l’époque où les blogs BD foisonnaient, et je comptais demander à plusieurs dessinateurs et -trices de réaliser des séries d’une dizaine de POG chacun·e. Les POG auraient ensuite était vendus, et la somme récoltée aurait servie à me rembourser de ces achats ainsi qu’à rémunérer les artistes. POGU, que ça devait s’appeler. U pour Underground. Ç’aurait été un peu noir, un peu adulte, monstres et cul. Évidemment, ce projet, comme tout projet digne de ce nom, a fini au fond d’un tiroir. Je ne saurai même plus me souvenir d’où se trouve ce matériel ou si je ne l’ai pas tout simplement jeté.
Tout à l’heure j’ai parlé des années 90, mais par souci d’exactitude il faudrait préciser que ce jeu existe depuis les années 20 ou 30. Dans les pays anglophones, il est mieux connu sous le nom de Milk caps. Pourquoi ? Parce qu’à la base ces petits disques de carton se trouvaient dans des bouchons de bouteilles. Bouteilles de jus de fruit ou de lait. Tout cela aurait débuté à Hawaii quelques décennies après le début du siècle donc, bien qu’un jeu très similaire existait déjà au japon au XVIIe (men’uchi 面打 ou menko 面子). Le nom qu’on connait par chez nous vient d’ailleurs de la marque de jus très descriptive Passion fruit-Orange-Guava créée en 1955 par une entreprise de Maui. Et s’il y a effectivement eu un regain d’intérêt pour le jeu dans les années 90, c’est sous l’impulsion de deux entreprises marchandes ayant flairé le juteux filon: la World POG Federation et la Canada Games Company (qui fit faillite en 1997 quand la mode s’essouffla).
Il y avait, selon les dires des experts, un avantage au POG original, celui sortant d’une bouteille, qui venait de l’irrégularité des disques de carton, ce qui permettait d’intégrer un peu plus d’aléatoire au jeu. Moi avec le recul j’aurais plutôt dit que c’était de ne pas se faire, une fois de plus, taxer son argent de poche par des commerçants peu scrupuleux qui vous vendaient des bouts de carton à prix d’or par l’intermédiaire du tabac-presse du coin. Mais après on va encore raconter que je vois le mal partout.
D’ailleurs, maintenant que j’y repense, je me demande si Passion fruit-Orange-Guava Underground, ça n’aurait pas été un poil ridicule.